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On peut aussi trier les notes par pays, région ou lieu.
NB : Un lieu peut-être un site naturel, une ville, un quartier, un musée, un bar...

Catégorie voyage 22 Ani, capitale inaccessible

(Billet du 06 septembre 2014) :

Les vestiges de l'ancienne capitale du royaume arménien sont tout proches, juste de l'autre côté de la gorge de l'Akhourian, mais se trouvent aujourd'hui en territoire turc. Peu après la sortie de Gyumi, un panneau routier indique imperturbablement "Ani 26 kms", mais, la frontière entre les deux pays étant fermée, on ne peut en réalité se rendre sur place autrement qu'en passant par la Géorgie ou l'Iran, au prix d'un détour d'environ 400 ou 500 kms.
Il existe, certes, un moyen d' accéder à un point de vue sur le site historique depuis la rive arménienne, mais il faut pour cela obtenir l'autorisation spéciale de pénétrer dans la zone militaire.
Nous ne pensions pas pouvoir le faire mais nous avons eu la chance de rencontrer des Arméniens de la diaspora (États-Unis et Slovaquie) qui nous ont inclus dans leur permis de visite.
Grâce à eux, que nous ne remercierons jamais assez, nous avons vécu un des moments forts de notre voyage, digne de figurer dans la rubrique "Pépites".

Nous avons franchi le poste de contrôle en fin de matinée, en provenance d'Ererourk, où nous avions déjà pu admirer une belle et grande église du VIème siècle. En grande partie ruinée, cette basilique aux multiples absides garde néanmoins son allure générale grâce à ses murs extérieurs restés debout. Un avant goût de la cathédrale d'Ani, qui, paraît-il, lui ressemble.
Tiresias confié aux bons soins des garde-frontières arméniens, nous embarquons dans l'une des deux voitures de nos nouveaux compagnons, en direction de l'Ouest. Après quelques kilomètres de piste difficile, apparaissent des miradors en tous points semblables à ceux que nous avons rencontrés il y a deux mois entre Kirkenes et Mourmansk. Rien d'étonnant à cela puisque c'est la Russie qui garde la frontière. Mais tous les miradors du monde se ressemblent et voici que surgissent un peu plus loin sur l'horizon leurs frères jumeaux turcs. Il en est ainsi sur plus de 250 kms ; entre la Géorgie et le Nakhitchevan, ces lugubres échassiers de métal et de bois se font face, interdisant, depuis 1991, tout passage, toute communication et tout échange directs entre les deux pays.

Parvenus au bord de la gorge, c'est un mélange d'étonnement, de ravissement et de consternation qui saisit tout le groupe. De l'autre côté de ce profond fossé large d'une centaine de mètres, si profond qu'on n’aperçoit même pas la rivière en contrebas, exactement au même niveau que nous, voici ce qui reste d'une ville qui, entre IXème et XIème siècle, comptait 100000 habitants et, dit-on, mille et une églises.
On distingue, posés comme de petites maquettes de terre cuites sur une étagère, une dizaine d'édifices dont six ou sept sont aisément reconnaissables. Nous tombons rapidement d'accord pour identifier, de droite à gauche, c'est-à-dire du Nord au Sud :
- St Grégoire de Honenz et, derrière elle, l'église du Rédempteur. Peut-être, en arrière plan aperçoit-on une autre des trois églises St Grégoire ( Gagkashen).
- La Cathédrale, la plus visible et la mieux conservée, œuvre du célèbre architecte Tiridate
- La troisième église St Grégoire (St-Grégoire d'Aboughamrentz)
- La mosquée édifiée par les Seldjoukides après la première prise de la ville au XIème siècle
- L'extrémité sud de la citadelle

C'est un spectacle extraordinaire. Il est certain que c'est d'ici, du bord de la falaise, et non de l'autre côté, qu'on a la meilleure vue d'ensemble sur la ville. Un panorama, au plein sens du terme, qui restera gravé dans nos mémoires.
Mais ce qui nous aura aussi frappé, c'est l'intensité avec laquelle nos compagnons ont vécu cet instant, leurs gestes, leurs exclamations, où se mêlaient exaltation et dépit, joie et tristesse.
Ani n'a pas été la seule capitale des différents royaumes d'Arménie et sa splendeur n'a duré que deux siècles, mais elle reste mythique et occupe une place à part dans le cœur des Arméniens, tout comme le mont Ararat, qui domine Erevan de ses 5000 mètres mais que les aléas de l'histoire situent aujourd'hui en Turquie, juste de l'autre côté de l'Araxe.
C'est comme si la nature et les hommes s'étaient entendus pour couper Ani et l'Ararat de l'Arménie et priver un peuple de sa capitale historique et de sa montagne biblique.
Rien n'est plus cruel qu'une séparation qui laisse l'objet du désir à portée de main ou de vue. C'est le supplice que les anciens dieux infligèrent à Tantale, la punition qu'ils imposèrent à Hémos et Rhodope ; c'est aussi l'impossible désir d'union qu'ils mirent au coeur d'Héro et Léandre. Certes, l'Araxe n'est pas la plaine de Thrace et l'Akhourian n'est pas l'Hellespont, mais en voyant les Arméniens tendre pathétiquement les mains vers l'autre rive, on pense aux tristes et beaux vers de Musée :
"ἦν γάμος, ἀλλ´ ἀχόρευτος·
ἔην λέχος, ἀλλ´ ἄτερ ὕμνων. "
"C'étaient des noces, mais on n'y dansa point.
C'était un lit nuptial, mais on n'y chanta point d'hymnes."

Avant cette journée, j'avais le projet de me rendre un jour à Ani depuis la ville turque de Kars, suivant l'itinéraire touristique classique, mais je ne souhaite plus le faire. Voir Ani comme nous l'avons vue avait quelque chose de fort, d'unique, d'irremplaçable, non seulement pour le panorama aussi parce que le parcours qui nous a conduit là, entre les barbelés des deux pays, avait un côté, sinon initiatique, du moins initiateur. Ce voyage à la marge, à la frange, tout au bord de l'Arménie d'aujourd'hui nous a introduit en son cœur même. Ce jour là, nous avons partagé l'émotion de nos compagnons d'un jour et, pour ma part, je me suis senti un peu arménien.

Post scriptum :
De retour à notre point de départ, une vive discussion s'engage, autour d'un café arménien (au goût furieusement turc), que nous offrent généreusement les militaires.
Je demande : Pourquoi ne pas autoriser plus largement l'accès au site ? Pourquoi ne pas installer des panneaux explicatifs, des télescopes ? Pourquoi ne pas ouvrir un café, un restaurant, voire un hôtel, au bord de la falaise ? Les Turcs le font bien, de leur côté, qui conduisent sur place des cars entiers de touristes.
Un de nos hôtes américains traduit et renchérit amèrement : "And they make money with our land !"
Ce qui rend ce projet inenvisageable pour l'instant, c'est d'abord l'état des relations entre les deux pays, mais aussi le statut de cette portion de terre entre les miradors, qui n'est pas vraiment arménienne. En effet, face à l'immense étendard rouge frappé de l'étoile et du croissant, qui flotte fièrement à l'Ouest, point de drapeau tricolore rouge-bleu-orange, mais les couleurs de la Russie. Devant cette situation, nos hôtes sont partagés : D'un côté, la présence d'un grand frère les rassure car elle est particulièrement dissuasive (Les attaquer sur cette frontière serait s'en prendre directement à la Russie, ce qui semble improbable) mais, d'autre part, une telle protection constitue bel et bien un abandon de souveraineté. De fait, cette étroite bande de 250 kms est territoire russe et non arménien.
Un tourment de plus dans l'âme meurtrie de ce peuple...

Catégorie voyage 21 Gyumri et alentours

(Billet du 01 septembre 2014 ) :

Nous sommes entrés en Arménie par le poste frontière de Zhdanovakani/Bavra, c'est-à-dire que nous avons découvert le pays par sa face Nord-Ouest.
Les formalités de police et de douane ont été longues du côté arménien et nous n'avons atteint Gyumri qu'à la tombée de la nuit, après environ 50 kms de ce que nous avons pris d'abord pour une mauvaise route. Nous apprendrons par la suite qu'il aurait plutôt fallu ranger ce premier tronçon asphalté dans la catégorie "passable". Il est vrai que notre amortisseur endommagé n'arrange rien, question confort (voir bientôt la rubrique "Pépites et pépins")

Gyumri :

Gyumri nous a plu tout de suite. Le camion facilement garé sur la place centrale, nous parcourons avec plaisir un centre ville animé. La nuit est douce, les voitures roulent à une vitesse normale, sans faire bêtement hurler leur moteur ni crisser leurs pneus sans raison, et les conducteurs s'arrêtent devant les passages cloutés pour laisser traverser les piétons. Voilà qui nous change agréablement du far-west géorgien. Il y a même une vraie rue piétonne bordée de cafés restaurants avec terrasses. Un peu plus tard, nous trouverons un bivouac très acceptable près d'un petit square tranquille.
C'est le lendemain que nous réaliserons dans quel état se trouve véritablement la deuxième ville du pays, dévastée par le tremblement de terre de 1988, et toujours pas entièrement relevée, loin de là. Gyumri étant dépourvu d'office du tourisme, nous nous rendons à l'hôtel de ville et rencontrons, un peu par hasard, Armen, employé d'une association d'aide à la reconstruction, qui organise précisément des "walking tours" pour réunir quelques fonds.
C'est sous sa conduite que nous avons parcouru la vieille ville. Bien nous en a pris car il faut un œil exercé ou un bon guide pour découvrir ce qui reste de l'ancienne Alexandrapol (du nom de l'épouse du tsar Nicolas Ier) : de belles façades, en pierre volcanique de la région d'Artik, des balcons, des cours intérieures, des statues de poètes, mais tout cela dans un ensemble ruiniforme, le long de larges rues pavées aujourd'hui pratiquement désertes, ou de parcs à peine entretenus. Si la cathédrale (Sourp Asdvadzadzine) et Saint-Sauveur (Amenaperkich), les deux principaux édifices religieux, ont été restaurés ou même entièrement reconstruits à l'identique, la plupart des immeubles historiques sont toujours en attente de travaux. Certains, à demi-effondrés ou complètement lézardés semblent même promis à la démolition pure et simple. Après une catastrophe, on peut comprendre que priorité soit donnée au relogement des habitants et au rétablissement des infrastructures, mais un quart de siècle, c'est long. D'autant que, même en ce domaine essentiel, tout ne semble pas avoir été fait. Armen était âgé de quatre mois le 7 décembre 1988. Il a aujourd'hui presque vingt-six ans et nous confie qu'il habite toujours dans un container aménagé, qu'il partage avec sa mère. Du provisoire qui dure...
La solidarité s'est pourtant manifestée très tôt après le séisme, en particulier dans la diaspora. La municipalité reconnaissante a même érigé une statue à la gloire de Charles Aznavour, qui a beaucoup payé de sa personne pour aider les sinistrés. La statue du chanteur trône au milieu de la "place" (plutôt un rond-point) qui porte son nom. On ne peut s'empêcher de sourire devant ses proportions gigantesques mais sans doute le monument célèbre-t-il la hauteur de l’œuvre entreprise plutôt que la taille réelle du bienfaiteur.

Les alentours de Gyumri :

Les villages des alentours ne se portent guère mieux que la "capitale du nord". Accès par des routes très abimées ou rapetassées à la va-vite, maisons abandonnées, édifices délabrés. Vues de loin, certaines zones d'habitation prennent parfois l'aspect d'un habitat troglodyte, avec leurs ouvertures béantes sans portes ni fenêtres et on se demande, à la vue d'un édifice en ruine, s'il était encore debout en 1988 ou s'il s'agit d'une ruine "historique". Les deux peuvent d'ailleurs se conjuguer. Ainsi, penchée au dessus de l'église d'Artik effondrée, on peut voir une grande grue complètement rouillée qui n'a manifestement pas bougé ni servi depuis des décennies. Restauration interrompue par le séisme ?
Dans la campagne, le paysage est austère. En roulant vers le sud, on traverse la plaine du Shiraz, qui est en réalité un plateau aux molles ondulations, dominé à l'Est par les quatre pointes du mont Aragatz (que Pouchkine confondit avec l'Ararat !).
La couleur dominante est le jaune car les moissons ont déjà été faites et, entre pierraille et poussière, n'affleure qu' une tignasse de chaume rase. C'est presque plat, mais nous sommes à plus de 1500 mètres. S'il fait très chaud au mois d'août, les hivers doivent être rudes dans cette région surnommée parfois la Sibérie du Caucase !

Deux premiers monastères :

Dans ces étendues désolées (pardon pour le cliché), le petit vallon de Marmachen prend des allures d'oasis saharienne (bis). On y descend par une mauvaise piste pour parvenir à un monastère du XIème siècle, niché dans la verdure, au bord de la rivière Akhourian, qui a creusé une entaille assez profonde sur le plateau. Sur place, nous ne trouvons pas de moine mais un simple gardien qui nous ouvre les portes de l'église principale. Celle-ci présente les caractéristiques canoniques de l'école d'Ani (l'ancienne capitale du royaume d'Arménie), que nous retrouverons souvent par la suite : un édifice en croix grecque, inscrit dans un carré et coiffé d'une coupole ornée de fines colonnes et pourvue d'un toit pyramidal, en forme d'ombrelle. Les façades sont décorées d'arcatures. Il se dégage de l'ensemble une impression d'harmonie qui rappelle la Grèce antique : la perfection dans la simplicité.
Plus au sud, à l'Est d'Artik, nous finissons par trouver Haritchavank. Non sans mal : Tiresias devra s'habituer à l'absence de signalisation et aux routes qui deviennent progressivement des champs de trous bordés d'un peu de goudron, puis des pistes, puis des chemins de traverse, puis...plus rien.
Le monastère, situé tout au bout du village du même nom, se trouve sur une large esplanade, au bord d'une dépression creusée par un torrent dont le lit, à sec en été, sert de sentier pour le bétail... et les visiteurs. Le site est magnifique. De l'autre côté de la faille, le plateau est exploité pour sa roche volcanique qui sert, depuis des siècles, de matériau pour la construction des édifices arméniens. La pierre est débitée et taillée sur place, en tranches, dans des sites à ciel ouvert. La carrière la plus proche de nous a ainsi tout a fait l'air d'un stade antique, avec ses gradins bien découpés et sa piste tout en longueur. Le monastère, très vaste, bien restauré, est en bon état. Seul le réfectoire est encore en cours d'aménagement. Comme à Gyumri, et comme dans la plupart des ensembles conventuels que nous visiterons par la suite, l'église principale, dédiée à la vierge, est nommée Sourp Asdvadzadzine (Sainte Mère de Dieu). Datant du XIIIème, elle présente, à l'extérieur, des influences diverses, comme son fronton, de style très oriental. Elle est, en réalité, composée de deux parties. On entre d'abord dans un immense "jamatoun", très vaste salle évoquant un narthex mais beaucoup plus grande que l'église elle-même, dont le plafond à stalactites s'ouvre très haut sur la coupole. Cette ouverture donne un peu de lumière à un intérieur très sombre et assez froid.
Selon le rite de l'église apostolique arménienne, le chœur n'est pas fermé par une iconostase, comme dans les sanctuaires orthodoxes, mais par un épais rideau rouge, coulissant le long d'une tringle. L'autel étant en outre situé sur une haute estrade en pierre, accessible par la droite ou par la gauche par deux volées de marches, on dirait la grande scène d'un petit théâtre.
En contrebas de l'esplanade, dans la gorge, une minuscule chapelle est perchée sur un amoncellement de rochers qui rappelle les cheminées de Cappadoce. Siméon le Stylite aurait pu s' y installer.

Catégorie voyage 20 Djavakhétie : les Géorgiques

(Billet du 24 août 2014) :

Au sud de Tbilissi, en direction cette fois de l'Arménie, à une altitude de 2000 mètres, s'étend un haut plateau. Après la bucolique plaine kakhétienne, voici la Djavakhétie, qui nous fait entrer dans... les Géorgiques !
Passé Manglisi, Tiresias traverse d'immenses étendues herbeuses dans lesquelles les paysans manient la faux et la fourche avec des gestes qui n'ont pas dû beaucoup changer depuis l'hommage que leur a rendu Virgile. Les cultures sont rares. A l'exception de quelques champs de pommes de terre, le plateau semble entièrement voué à l'élevage. C'est la saison des foins et la campagne est peuplée de loin en loin de petites silhouettes humaines à pied ou à cheval. Le relief est peu accidenté. A perte de vue, les meules de foins aux formes arrondies, toutes faites à la main, parsèment le paysage, et les lignes d'herbe coupée structurent la campagne comme une toile de paysagiste. Sur 100 kilomètres, nous ne verrons aucun engin mécanique, sans doute parce que le terrain ne s'y prête pas, mais peut-être aussi parce que cette province ne fait pas partie des priorités de l'état. Peuplée presque exclusivement d'Arméniens, peu fertile et sans grand attrait touristique, elle reste à l'écart du reste de la Géorgie et accuse un certain retard de développement.
Certes, la route qui la traverse est bonne. Mais, refaite à neuf, elle a visiblement pour fonction de relier Tbilissi à la Turquie par une voie plus directe que celle de la mer Noire. Tout au long du trajet, nous remarquons d'ailleurs d'importants travaux de rénovation sur ce qui semble être l'ancienne voie ferrée. Sans savoir exactement de quoi il retourne, nous voyons bien qu'il s'agit là aussi de la construction d'une liaison rapide est-ouest qui n'a que faire de la desserte de la région.
De part et d'autre de ces deux axes modernes, la vie rurale semble ne pas avoir changé depuis...
Depuis quand, au fait ?
La route est fréquemment coupée ou encombrée par des troupeaux. Énormes, ces troupeaux. Des moutons, mais surtout des vaches. Des dizaines, voire des centaines de têtes à chaque fois, encadrées par de nombreux bergers qui les ramènent au bercail, sans chiens, mais parfois avec monture. Il ne manque à ces cavaliers que le revolver et le lasso et on pourrait se croire dans un western de John Ford. L'image semble donc hors du temps, géorgique, comme celle des faucheurs, ou rio-grandesque, comme celle des cow-boys. Mais cette organisation villageoise manifestement collective doit peut-être beaucoup au modèle plus récent de l'époque soviétique. D'Est est en Ouest, plusieurs lacs se succèdent et nous appellent à rejoindre leurs rives. Malheureusement, leur accès n'est pas aisé. Peu de pistes y conduisent et les villages qui les bordent, aux rues sableuses et défoncées entre des maisons éparses et sans caractère, ont l'attrait d'un kolkhoze des années 30. ...
Nous trouverons un endroit pour y faire une pause, mais rien pour bivouaquer. Nous redescendons donc sur le versant ouest le soir même. Avec regrets car nous aurions bien aimé passer au moins une nuit dans ces paysages dont la rusticité nous a séduit. Certes la vie ne doit pas y être facile et loin de nous l'idée de reprendre naïvement l'antienne virgilienne :"0 fortunatos nimium agricolas...", mais nous savons déjà que ce bref parcours sur le haut plateau djavakhétien restera à coup sûr un de nos plus beaux souvenirs de Géorgie....
Plus bas, sans nous attarder à Ninosminda, ni à Akhalkhali, nous remontons un peu au nord, en direction de la Meskhétie

Un petit tour en Meskhétie :

Avant d'entrer en Meskétie, on passe par Akhaltsike, la capitale de la Djavakhétie. On y visite la citadelle de Rabati, qui nous a paru quelconque et, de toutes façons, trop restaurée pour susciter la moindre émotion. A l'intérieur, le prétendu "musée d'histoire" est aussi peu pédagogique que possible. Présentation désordonnée d'un ensemble hétéroclite, priorité au "sensationnel", jeux de lumières, atmosphère vaguement ésotérique. Tout ce qu'on n'aime pas....
On suit ensuite les gorges de la Koura jusqu'à Bordjomi, ville thermale autrefois très fréquentée par les Russes et aujourd'hui un peu en déshérence. Nous avons apprécié ses ombrages mais nous avons préféré monter jusqu'à Bakouriani, qui fut longtemps la seule station de ski de Géorgie. A 1800 mètres d'altitude, dans un paysage alpin, nous avons retrouvé la fraîcheur qui nous manquait depuis que nous avons quitté le Haut Caucase.
Après une halte de deux jours au pied d'un remonte pente sans skieurs, nous redescendons vers le sud, fins prêts pour affronter la fournaise que l'on nous promet en Arménie....
Mais nous gagnons d'abord la cité troglodyte de Vardzia. ...

Vardzia :

A l'entrée de la vallée de Vardzia, on trouve d'abord Khertvissi, une impressionnante citadelle très bien conservée qui est passée de mains en mains au cours des siècles au gré des victoires des uns et des défaites des autres. On dit qu'Alexandre serait passé par là. Je n'y crois guère, pas plus qu'à la tradition qui situe les "portes de fer" dans la gorge du Darial, mais rien n'empêche d'y rêver....

La cité troglodyte :

La capitale de la mythique reine Tamar, fondée au XIIème siècle, à la fois citadelle garde-frontière et centre monastique et culturel, a subi le même sort que tous les hauts lieux de l'histoire géorgienne: séismes, guerres, pillages et destructions ont causé sa ruine. Il reste aujourd'hui, dans un site superbe, tout un ensemble d'habitations, creusées dans la falaise, sur plusieurs étages, reliées par un réseau de galeries souterraines et de passages plus ou moins secrets. Au centre, l'église de l'Assomption, troglodyte aussi mais pourvue d'une avancée en pierre maçonnée, contient de belles fresques, dont la célèbre représentation du "roi" Tamar habillé en homme....
Nous avions installé Tiresias sur l'autre rive de la rivière, exactement en face de ce haut lieu du tourisme géorgien, que nous avons eu pour nous tous seuls au coucher du soleil, sous les étoiles et au petit déjeuner. Magnifique bivouac. ...

Et maintenant, en route pour l'Arménie !

Catégorie voyage 19 La Kakhétie bucolique

(Billet du 19 août 2014) :

La Kakhétie, province du sud ouest de la Géorgie, voisine de l'Azerbaïdjan, est une partie de la vaste région antique d'Albanie (à ne pas confondre non plus avec le pays du même nom). Elle est connue pour la densité de ses monastères et la qualité de son vin, les deux pouvant d'ailleurs s'apprécier sur le même site. Il n'était donc pas question de sauter cette étape.
Pour gagner Telavi (avec un seul v), nous n'avons pas pris l'"autoroute kakhétienne" mais nous sommes risqués sur la route qui passe par les monts de Gombori. Agréable surprise, ce qui n'était qu'un mince filet blanc sur la carte routière, se révèle une très bonne route. Après avoir franchi plusieurs cols assez élevés, nous sommes ainsi arrivés directement aux deux Shuamta (le "vieux" et le "jeune"), perchés dans la forêt, juste au dessus de la large plaine de l'Alaverdi. Cette plaine est en réalité un plan incliné qui descend des derniers contreforts du Grand Caucase pour venir mourir au pied de la haute chaîne du Dagestan. Elle est irriguée par l'Alaverdi, le long duquel s'étirent champs de maïs et cultures maraîchères, ainsi que les vignobles qui font la réputation de cette région.

Les monastères :

Depuis leur fondation, entre le VIème et le Xème siècle, les monastères ont tous souffert des différentes guerres, razzias et invasions qui font l'histoire de la Georgie. Arabes, Perses, Turcs, Dagestanais, et surtout Mongols ont régulièrement saccagé, et parfois détruit de fond en comble les ensembles conventuels, avec leurs églises et leurs bibliothèques. Tout a toujours été reconstruit mais la plupart des édifices actuellement debout datent du XVIIème au XIXème siècle, même s'ils ont parfois été refaits à l'identique.
Aujourd'hui, presque tous les lieux que nous avons visités sont à nouveau occupés par des moines. Le patriarcat de Géorgie, très prosélyte, a repris la main sur tout le patrimoine religieux et il ne semble pas y avoir ici de crise des vocations. Les codes de bonne conduite et de tenue vestimentaire doivent être strictement respectés : pantalon long et tête découverte pour les hommes, jupe ou robe longue et tête couverte pour les femmes. Certains cerbères en soutane sont parfois peu amènes dans leurs commandements, mais il faut l'accepter : après tout, ils sont chez eux.

Dzveliv Shuamta, le "vieux Shuamta", contient trois petites églises. dont l'une passe pour la plus ancienne de Géorgie (Vème siècle). Dans les deux autres, minuscules, on tient à peine à plus de 4 personnes. Ce n'est pourtant pas pour cela qu'elles sont dites tetraconques, mais à cause de leur architecture lilliputienne : quatre coquilles de pierre en forme de croix.
Nous avons dormi près de l'autre Shuamta (le jeune), situé un peu plus bas. Il est occupé par des religieuses. L'une d'elles est chargée d'ouvrir la porte et de conduire les visiteurs jusqu'à l'église principale, un grand édifice cruciforme surmonté de la coupole caractéristique des églises géorgiennes. Elle contient de belles fresques sur lesquelles notre "guide", qui était un peu anglophone nous a donné quelques détails.

Quand on arrive à Ikalto, au fond d'une petite vallée perpendiculaire à la plaine, on se croirait presque dans les environs de Florence. La présence des cyprès n'y est pas pour rien et donne à ce lieu un peu de l'atmosphère à la fois sereine et noble de la Toscane. Il y a aussi quelque chose de la Grèce dans ce petit vallon paisible où l'on n'entend plus aujourd'hui que le chant des cigales mais qui fut au moyen âge le siège d'une importante "académie" philosophique et théologique. A moins que cette réminiscence hellénique ne soit due à Zénon, l'un des 13 pères de l'église géorgienne venus de Syrie, dont les reliques sont conservées dans la Khvtaeba, l'église principale.

Alaverdi est plus militaire. Le complexe monastique est bâti en plaine mais entouré de solides fortifications. L'église saint Georges, du XIème siècle, un des monuments de l'histoire religieuse et politique géorgienne, a été plusieurs fois ruinée et reconstruite. Les fresques intérieures d'origine, qui avaient été recouvertes pendant la domination russe, ont été partiellement restaurées et on peut admirer dans l'abside une superbe vierge à l'enfant. C'est cependant à l'extérieur, au dessus du portique occidental, que Saint Georges terrasse le dragon, emblème d'un pilier de l'orthodoxie dressé face à la menace musulmane.

Gremi et Nekresi sont situés de l'autre côté, sur le Piémont de la chaîne du Daguestan. Gremi est moins un monastère qu'une citadelle. On voit de loin depuis la plaine la coupole de son église. Construite en briques, celle-ci est plus fine et élancée que les autres, ce qui lui confère une allure plus occidentale, à moins qu'elle ne soit au contraire plus orientale (influence persane ?). A l'intérieur, encore de très belles fresques.
Nous ne sommes pas parvenus avant la nuit jusqu’au bout de la route (interdite aux véhicules non autorisés) qui conduit à Negresi mais nous avons trouvé au bas de celle-ci un de nos plus agréables bivouacs, sous les arbres, près d'une source, au milieu de petits carbets. Dans la journée, les Géorgiens viennent y pique-niquer en famille : barbecue, vin, vodka et musique à volonté. Le soir, tout ce petit monde reprend la route tant bien que mal et on se retrouve seul. Heureusement, le groupe électrogène d'un restaurant voisin assure la permanence d'une présence humaine...

Beaucoup plus au sud, près de la ville de Sighnaghi, se trouve Bodbe, le monastère de Sainte Nino, que nous avons rencontrée à Mtskheta et qui repose ici. L'église est à voir pour sa fresque représentant les 13 évangélisateurs syriens et le tombeau de la sainte. Les fidèles font la queue pour venir prier dans la petite crypte qui abrite ses reliques. Certains se prosternent et s'allongent même de tout leur long sur la pierre tombale. Je vois ressortir un jeune couple très ému, les larmes aux yeux. A les regarder, on comprend que Nino, "isapostolos"( égale aux apôtres), est beaucoup plus que la sainte patronne de Géorgie.

Un petit dernier pour la route ! Kvevalatsminda. Perdue au fond des bois, au bout d'une piste pas trop désagréable, voici une petite église adorable. Avec ses deux coupoles, elle est tout simplement unique en son genre. Les moines, qui occupent le monastère situé au dessus, se relaient pour la faire visiter. A l'intérieur, une saisissante icône de Sainte Marie l’Égyptienne, d'une effrayante maigreur. "Marie d’Égypte ou le désir brûlé", écrivait Lacarrière. Il avait vu juste. Nul besoin de ses cheveux pour voiler la nudité d'un squelette.

Les vignes et le vin :

Il fallait choisir une entreprise viticole à visiter. Nous avons opté pour le "twins old cellar", au nom bien peu local mais que l'on nous avait recommandé. Bonne pioche. La visite est payante mais elle vaut la peine et comprend une vraie dégustation. Notre guide, anglophone et compétent, nous donne tous les détails sur la fabrication du vin, des vendanges à la mise en bouteille. Dans cette cave, l'essentiel semble ne pas avoir changé depuis l'antiquité, puisque la fermentation se fait toujours, non dans des cuves, mais dans de très grandes amphores de terre cuite enfouies jusqu'au col dans le sol. Nous découvrons la liste de centaines de cépages dont nous ignorions jusqu'au nom. La Géorgie se flatte d'être le pays d'origine du vin. Pourquoi pas ? Pour les Grecs, c'est d'Inde que Dionysos avait ramené la vigne, mais l'Inde mythique ne commençait-elle pas juste après le Caucase ? Et puis, quand on voit cette multitude de cépages et ces traditions ancestrales, on se dit que, "si non e vero e bene trovato"...
Après le cours d’œnologie, la dégustation, c'est nunc et hic ! Nous repartons du Twins old cellar , lestés de nouvelles connaissances sur le vin... et de quelques échantillons de rouge et de blanc ! De quoi tenir quelque temps dans le camion.

Les villes de Kakhétie :

Le chef lieu de la province est Telavi, où, en principe, on peut visiter le palais du roi Irakli (Héraclès) II, le dernier grand monarque à avoir pu établir une (relative) unification de la Géorgie. Malheureusement, lors de notre passage, la forteresse était fermée (pour restauration, nous a-t-on dit). Nous n'avons donc passé qu'une demi-journée et une nuit sur place, le temps de nous ravitailler sur le marché et de recueillir quelques informations à l'office du tourisme.

Kvareli et Gourjani n'ayant que peu d'intérêt pour le visiteur de passage, la découverte de Sighnaghi n'en est que plus agréable. Haut, très haut perchée dans la montagne, l'ancienne cité fortifiée, importante place militaire et commerciale sous Irakli II, est entourée d'une muraille de plusieurs kilomètres, parfaitement conservée, dans laquelle on pourrait mettre quatre ou cinq fois l'agglomération actuelle. Après son déclin et un long sommeil de deux siècles, Sighnari s'est réveillée au XXIème. Bénéficiaire collatérale de la Révolution des roses, rénovée, rééquipée en restaurants, hôtels et boutiques de souvenirs, dotée d'un théâtre et d'un musée national, cette ville, particulièrement chère au cœur de l'ex président, est devenue une destination obligée des tours operators. Alors, trop choyée, Sighnaghi ? L'investissement consenti pour elle, n' a pas fait l'unanimité dans la classe politique et l'opinion publique géorgiennes, d'autant que des pans entiers de la restauration sont restés inachevés. Elle n'a pas fait non plus que des heureux parmi les habitants dont les plus plus modestes ont dû quitter leurs maisons ruiniformes à relever pour se voir relégués en périphérie.
Mais le visiteur est heureux de pouvoir flâner dans ses rues pavées, parcourir le chemin de ronde aménagé et s'attabler à la terrasse ombragée d'un café ou à celle d'une taverne d'où le regard plonge sur la plaine et scrute les montagnes d'où descendaient régulièrement, avant la "pacification" russe, les pillards daguestanais.
Nous avons particulièrement apprécié le musée, qui propose une intéressante collection archéologique, et une exposition permanente de toiles de Pirosmani et Lado Goudiachvili.
A l'étage, lors de notre passage, une exposition était consacrée aux femmes victimes de la répression politique après 1921, et pendant les purges de 1936. Artistes, poétesses, actrices, militantes engagées ou simplement épouses d'intellectuels ou hommes politiques à éliminer, la plupart du temps communistes elles-mêmes, elles ont connu la disgrâce, la prison, l'exil, le goulag et, souvent la mort, victimes, comme leurs sœurs des autres républiques soviétiques, de la terreur stalinienne.
Chaque panneau présente, sobrement, une de ces femmes ; sa vie, son œuvre, ses engagements, son destin. Une monographie émouvante, bien plus juste et efficace que la présentation idéologique et lourdingue du "musée de l'occupation soviétique" de Tbilissi.

Catégorie voyage 18 Mtskheta. Premiers monastères

(Billet du 16 août 2014) :

Tbilisi est située en Kartlie, une des provinces de Géorgie qui occupe une partie de ce que l'on appelait dans l'Antiquité l'Ibérie (à ne pas confondre avec la péninsule sub pyrénéenne du même nom). La capitale historique de ce royaume était Mtskheta, située si près de l'actuelle métropole qu'elle en constitue aujourd'hui une quasi banlieue.
Mtskheta est étroitement liée à la figure de Sainte Nino, la Patronne de Géorgie, une Grecque venue de Cappadoce avec pour tout bagage un cep de vigne en forme de croix. Armée de ce seul outil et de sa foi inébranlable, elle convertit la famille royale dès le début du IVème siècle, et fit de l'Ibérie le deuxième royaume chrétien de l'histoire, peu de temps après l'Arménie. On la représente souvent à côté ou tenant un tronc séparé de sa souche. Pour certains, elle retient un arbre fruitier prêt à s'envoler afin d'échapper à la hache du bûcheron, pour d'autres au contraire, elle le remet en place après qu'il eut effectivement été coupé et lui permet à nouveau de fructifier. On voit par là que Nino est associée à la vie et à la résurrection. On en reparlera.

La principale église de Mtskheta est Svetiskhoveli, qui signifie "colonne donnant la vie" (référence explicite au tronc de la résurrection). Elle est d'une jolie couleur tirant sur le jaune et richement décorée à l'extérieur, parfois de motifs amusants, comme ces têtes de bovidés qui ornent sa façade, ou ces églises miniatures sur les corniches. En levant la tête, on découvre aussi un paon, dans lequel certains voient une influence persane. Pourquoi pas ? mais n'oublions pas que le paon symbolise avant tout l'immortalité. Résurrection encore.
Cette cathédrale qui, selon la légende, serait bâtie sur une tombe contenant le Saint Suaire(résurrection toujours), présente un plan en croix grecque coiffé d'une colonne tambour. C'est une caractéristique architecturale que nous retrouverons par la suite dans presque toutes les églises des monastères que nous visiterons.

A côté de Svetiskhoveli, on peut voir une très jolie petite chapelle, dite d'Antioche, qui était fermée lors de notre passage. Nous avons dormi sur le parking situé juste à côté et, ô surprise ! nous y avons trouvé un camping car, le premier depuis la Norvège. C'est Katrin qui le conduit. Seule avec ses quatre enfants, elle revient d'Arménie et rentre en France via la Russie. Nous avons donc quelques informations à échanger. Bonne route, Katrin :) Bonne rentrée, les enfants :(

A proximité de Mtskheta, il y a deux monastères à visiter. Le premier, Djvari, est magnifique vu d'en bas. Il est souvent photographié et sert de produit d'appel sur beaucoup de brochures touristiques géorgiennes. Bien qu'il soit haut perché, on y accède facilement, par une route goudronnée. "Djvari" signifie" croix". Il s'agit, bien sûr, du cep de vigne de Nino, auquel le site est dédié. Pendant longtemps, à l'époque soviétique, le monastère était inclus dans une zone militaire interdite. Depuis la fin du XXème siècle, les Géorgiens le redécouvrent. Résurrection, résurrection...

Si la montée à Djvari est aisée, accéder à Chio Mgvime se mérite. On y parvient au bout de 12 kilomètres de piste caillouteuse et crevassée en montagne, dans un paysage désertique de toute beauté mais un peu angoissant. Panne interdite, crevaison inenvisageable vue la pente. C'est l'occasion pour nous de faire connaissance avec les autres grands évangélisateurs de la Géorgie : les 13 pères syriens. On les appelle ainsi car ils venaient de la région d'Alep mais leurs noms (Chio, Zénon...) sont manifestement grecs. Dès notre arrivée, nous sommes pris en mains par les moines. Le premier nous fait visiter les lieux et nous donne quelques explications. Dans l'église de l'Assomption, il nous montre une belle fresque du XIIème qui représente Nino tenant le tronc d'arbre coupé au dessus de sa souche. Dans l'église Saint Jean Baptiste, l'iconostase ne ferme plus le chœur mais nous le savions déjà et nous ne sommes pas déçus puisque nous l'avons déjà vue au musée de Tbilisi. Par contre, dans la grotte dite de Chio, la relique du père syrien est bien là, toujours en place à l'endroit où il avait choisi de finir sa vie en ermite.
Pendant tout le temps de notre visite, un deuxième moine, accouru dès notre arrivée, restera à balayer le sol tout en disant des prières sur le petit parking sommaire où nous avons garé Tiresias. Sans en être certain, je rapproche son attitude d'une pratique que j'ai déjà observée au Mont Athos et que m'avait expliquée un des pèlerins avec qui je faisais la route. Il ne faudrait pas qu'un esprit malin profite de la venue de visiteurs étrangers pour s’infiltrer avec eux dans le monastère, tel un virus ou une bactérie infectieuse. D'où la nécessité de ce double balayage, matériel et spirituel.

Pendant les 12 kilomètres du retour, je prie à mon tour pour que les démons empêchés d'accomplir leur vilaine besogne dans le saint lieu ne se vengent pas sur un pneu ou sur le carter de Tiresias. Il faut croire que j'ai été exaucé, puisque nous parvenons sans encombre à Mtskheta, prêts à partir pour la Kakhétie.

Catégorie voyage 17 Tbilisi

(Billet du 12 août 2014) :

En camion, il est toujours préférable, pour entrer dans une grande ville inconnue, de choisir un dimanche, car la circulation est souvent réduite. C'est ce que nous avons fait à Tbilisi, capitale d'un million d'habitants, dans un pays où la conduite ne semble obéir à aucune autre règle que celle de faire crisser ses pneus, hurler son autoradio et vrombir son moteur. Comme à notre habitude, nous cherchons -et trouvons- à nous loger en plein centre.
Notre camp de base se situe à deux pas du théâtre de marionnettes Gabriadze, situé dans un quartier très calme et piétonnier, sur une place minuscule. C'est un endroit charmant. La maison a été entièrement restaurée et le résultat est très poétique, mi enfantin mi surréaliste, à l'image des spectacles du metteur en scène, bien connu en France.
En août, Gabriadze faisait relâche, mais nous nous promettons de revenir en septembre, à notre retour d'Arménie. En attendant, nous passons des moments très agréables attablés au café attenant, le "Sans souci", à surfer sur le wifi, en levant la tête, toutes les heures, vers le carillon animé. Il y a au moins une marionnette qui n'est pas partie en vacances.

Deux ou trois choses sur Tbilisi :

1. Roustaveli

L'avenue Roustaveli, que les Tbilisiens aiment à présenter comme les "champs Élysées de Géorgie" va de la place de la Révolution des Roses (ex place de la République) à la place de la Liberté (ex place Erivan, puis place Lénine après 1921). Celle-ci marque l'entrée de la vieille ville, à laquelle on accède par la rue Kote Apkazi, ancienne rue Lesselidze. Ces changements de noms en disent long sur les bouleversements politiques dans la Géorgie du XXème siècle et sur sa volonté, au XXIème, de s'émanciper de son passé "russe", ou "soviétique". Les habitants se soucient d'ailleurs comme d'une guigne de cette valse onomastique et continuent à utiliser les anciennes appellations, ce qui ne facilite pas la tâche du visiteur quand il demande son chemin en exhibant son plan, mais témoigne d'un bon sens populaire plutôt rassurant. Rien ne dit en effet, que ces plaques récentes ne seront pas remplacées par d'autres dans quelques années ou quelques mois. Après tout, pendant notre court séjour, le leader de la révolution des Roses, aujourd'hui déchu et "en voyage" aux États-Unis, a été condamné par contumace...
Comme sur les Champs, donc, on monte et on descend Roustaveli, mais il faut bien dire que la comparaison s'arrête là. Beaucoup de bâtiments sont en rénovation, d'autres, démolis, seront entièrement reconstruits. Il faudra revenir voir le résultat dans quelques années.
C'est ici que l'on trouve tout ce qu'il y a de moderne ou d'occidental, du MacDo, lové tel un Bernard l'Hermite dans les étages d'une étroite coquille du XIXème, aux grands hôtels, librairies, supermarchés et boutiques de téléphonie. C'est aussi dans ou aux abords de cette avenue que se situent la plupart des musées.
Tout ceci conjugué fait que nous y avons passé du temps...

2. Les musées que nous avons aimés..

A la Galerie Nationale, nous avons découvert trois artistes importants :
Le peintre Niko Pirosmani, dont les œuvres évoquent un peu celles du Douanier Rousseau, est LE peintre national géorgien. Ses toiles sont, pour la plupart consacrées à des scènes de la vie quotidienne. Quant aux représentations animales (lion, cerf, biche, sanglier) elles laissent deviner un arrière plan symbolique ou mythologique que le non Géorgien ne parvient pas toujours à identifier.
Pour ma part, j'ai préféré les tableaux de Lado Goudiachvili. Son œuvre, de facture plutôt expressionniste dans sa première période (années 20 et 30), nous plonge dans un univers proche du fantastique, et ses portraits (d'hommes, de femmes, de trios, dont on ne sait trop s'ils sont des héros d'épopée ou de louches voyous de quartier) sont aussi inquiétants que fascinants.
Le musée présente aussi une exposition consacrée au sculpteur Iacob Nicoladze, dont on peut voir par ailleurs de nombreuses réalisations dans les rues de Tbilisi.

Le musée des Beaux Arts est à visiter pour ses salles du "trésor", dans lesquelles on doit être obligatoirement guidé. On voit là une magnifique collection d'art géorgien d'époque chrétienne, du VIème au XVIIIème. Les icônes, iconostases, bijoux et objets religieux les plus remarquables, en provenance de toutes les églises du pays, ont été rassemblés ici. On en ressort émerveillé.

Au musée Simon Djanachia, la partie la plus intéressante est celle qui est dédiée aux découvertes archéologiques. Les vitrines regorgent de pièces d’orfèvrerie, du VIème millénaire à l'époque romaine. On s'attarde surtout sur les chefs d’œuvres du trésor de Colchide, en rêvant à l'expédition des Argonautes et aux amours de Jason et Médée.
A la vue de toutes ces merveilles, on comprend mieux l'avidité des héros grecs qui se sont aventurés sur ces terres lointaines. Si les bijoux d'or sont si nombreux, c'est que les rivières de Géorgie sont connues, depuis l'antiquité, pour leur potentiel aurifère. On dit même que, pour capturer la fine poussière d'or, trop fine pour rester au fond des tamis, les orpailleurs locaux utilisaient, il ya peu encore, une méthode très archaïque mais efficace. En faisant tremper dans l'eau des peaux de mouton, puis en les faisant sécher et en les brossant, ils obtenaient quelques grammes du précieux métal.
Le mythe de la Toison d'Or aurait donc un fond de vérité.

... et le musée que nous n'avons pas aimé.

Dans le bâtiment du musée national Simon Djanachia, un étage est intitulé "Musée de l'occupation soviétique". Je n'ai pas aimé ce musée pour plusieurs raisons.
D'abord, parce que c'est l'exemple même du musée de type idéologique, dans lequel tout est orienté de manière à formater une opinion et non à former le jugement, quitte à grossir ici certains traits, ou à passer là sous silence ce qui ne cadre pas avec la ligne à suivre. Bref, en reproduisant les méthodes de ceux dont on prétend s'être libéré, on montre qu'on ne s'est pas encore émancipé.
Ensuite, la confusion permanente entre les termes "russe", "bolchevik" et "soviétique" est gênante. Que la Géorgie ait été colonisée par les Russes depuis le XIXème siècle, c'est un fait, même si de petits esprits rappellent quelquefois, qu'à tout prendre, ce nouveau protectorat lui a permis d'échapper aux tutelles turque et persane sous lesquelles elle vivait depuis des siècles. Mais ramener les événements de 1921 à une simple manifestation de l'impérialisme russe n'est-il pas abusif ? En Géorgie comme en Russie, l'enthousiasme révolutionnaire était très fort dans ces années-là, et nul doute que la plupart des intellectuels et une bonne partie du prolétariat étaient marxistes, voire léninistes. Personne n'aurait donc adhéré, à cette époque au moins, aux idéaux soviétiques en cours ?
Le malaise se fit plus profond encore quand on réalise, au fil des présentations, que la collection assimile, petit à petit, les termes "russe" et "soviétique". On en oublierait presque que, jusqu'en 1953, le Kremlin était aux mains de Staline (Djougachvili) et la police aux ordres de Beria (Pavles Dze Beria), tous deux Géorgiens.
Pourquoi ne pas le dire ? De Staline, on ne voit qu'un portrait anodin, et de Beria il n'est jamais question, alors que c'est lui qui a détruit la moitié de Tbilisi et coupé ou déporté toutes les têtes géorgiennes mal pensantes qui dépassaient.
Là, on ne joue plus seulement sur l’ambiguïté ; on recourt à la méthode bien connue du mensonge par omission.

3. La vieille ville

La vieille ville de Tbilisi se compose de plusieurs quartiers qui se succèdent et se superposent entre la Koura et la colline de Sololaki, dominée par une forteresse, impressionnante mais largement reconstruite, comme on peut s'en apercevoir en regardant des photos anciennes.
Depuis la place de la Liberté, on descend la rue Lesselidze, pour parvenir à la place Meïdan (la place "Place") et aux bains d'Abanotoubani (les bains "Bains"), près de la rivière et des sources d'eau chaude qui ont fait la réputation du lieu.
C'est la "Tiflis" des albums photos, encore un peu orientale, avec ses caravansérails désaffectés, ses thermes turcs et persans, toujours en activité et aux façades très (trop) ravalées, ses maisons ottomanes ; mais c'est aussi la Tbilisi très chrétienne, géorgienne ou russe. Que de belles églises ! Plan basilical ou en croix, mais toujours avec coupole, avec ou sans fresques préservées, leur architecture est toujours d'une grande sobriété et donne une impression d'unité, bien qu'elles aient été souvent détruites et reconstruites au cours des siècles. Comme les églises grecques, elles sont entourées d'un petit jardin, avec parfois une treille et une tonnelle.
Notre préférée est Antchiskhati, tout près du théâtre Gabriadze... et de Tiresias.
La cathédrale arménienne Norachen est en cours de restauration et on ne peut y pénétrer. C'est la seule église qui reste aux Arméniens de Tbilissi et elle fait l'objet d'un contentieux avec l'état géorgien qui n'entend pas la leur rendre. Les travaux en cours en août 2014 sont-ils le signe d'un progrès dans les négociations ?
Il reste aussi dans la vieille ville une mosquée d'origine persane (la seule que Beria ait laissée debout), fréquentée par les Azéris, et une grande synagogue, toujours ouverte bien qu'il n'y ait presque plus de juifs en Géorgie. Les deux édifices peuvent se visiter.
On peut donc passer des heures à courir d'église en caravansérail, le nez sur son plan ou dans son guide, mais c'est aussi en flânant au hasard dans les ruelles de Zemo ou Kvemo Kala qu'on trouve de belles surprises. Beaucoup de maisons sont bien délabrées mais on ne se lasse pas d'admirer leurs façades, les escaliers extérieurs et surtout leurs superbes balcons, aux dimensions étonnantes. Elles me rappellent, en plus imposant, les maisons du bas de Sultanahmet à Istanbul.
La restructuration de la vieille ville va bon train. Plutôt que de restaurer ces vieilles habitations, il semble qu'on ait fait le choix de raser et de reconstruire dans un style proche de l'identique. On trouve donc des pâtés de maisons tout neufs qui font ancien, à côté de bicoques menaçant ruine, de terrains vagues et de carcasses en cours de démolition. Beaucoup de ces logements ne sont pas encore vraiment occupés.
Entre la cathédrale Sioni et les bains, se trouvent les rues à la mode Bambis Rigui, Chardin et Erakli II. Les deux premières ont été refaites dans le style "Art nouveau" sur la base d'anciens caravansérails et ont un certain caractère. Mais, pour le cadre et l'ambiance, ce ne sont que boutiques branchées, cafés et restos en terrasse, galeries d'art etc., comme toujours dans ce genre d'endroit.
Passons donc notre chemin. Ah ! mais non ! Tiens ! Qui est ce barbu bondissant qui semble jaillir du mur tel un satyre sautant sur sa proie ? C'est le cinéaste Sergei Paradjanov, dont le sculpteur Azha Mikaberidze a réalisé la statue. A voir...
Et cette curieuse passerelle pour piétons qui mène à la rive gauche ? Voulue par l'ancien président Saakachvili, les Tbilissiens, malicieux et plus terre-à-terre que leur leader féru d'art moderne, l'ont surnommée "Always Ultra".
Avouons que...

Catégorie voyage 16 De la frontière russe à Tbilisi

(Billet du 08 août 2014) :

De la frontière russe, on arrive à Khasbegui, aujourd'hui appelé Stepansminda, par la "route militaire" qui suit la gorge du Darial, un défilé profond et resserré, au plus près de la "frontière" avec l'Ossétie rebelle.
Au début, nous ne sommes pas vraiment dépaysés ; on dirait tout à fait une vallée bigourdane. Il faut cependant abandonner assez vite un peu de sa fierté gasconne. Le Caucase est d'une autre trempe que les Pyrénées et les cimes enneigées que nous apercevons de temps à autre entre les nuages culminent à plus de 5000 mètres. Le mont Kazbeck, sur les pentes duquel les Anciens situaient le lieu du supplice de Prométhée, dépasse donc le Vignemale, le Mont Perdu et l'Aneto de 2000 mètres au moins. Consolons-nous en pensant qu’Héraclès en personne, briseur de chaîne sur le mont Caucase et forgeron de celle de Pyrène, unit ces deux massifs dans sa geste libératrice.
De notre bivouac, surplombant la rivière, nous apercevons, bien en dessous du glacier, mais très au-dessus de nos têtes, l'église de Guergueti. Comme en équilibre sur la crête d'une avancée rocheuse, sa silhouette apparaît nettement découpée sur le fond du décor montagneux. Sur ce plateau, on la dirait posée, tel un de ces objets souvenirs qu'on ramène parfois de ses voyages.
Aboli bibelot sur la crédence de ce sommet à nix ? Il fallait monter là haut pour s'en assurer ; nous l'avons fait. La randonnée s'effectue assez facilement en une demi-journée. Malheureusement, une piste mène au même endroit et beaucoup s'y rendent ou s'y font conduire en 4x4, faisant avaler aux pauvres marcheurs des kilos de poussière. Et faut-il encore décourager un peu plus nos éventuels lecteurs ? Finalement, c'est beaucoup plus beau vu d'en bas !
Khazbegui, comme les autres vallées du Haut Caucase, est entièrement vouée au "tourisme nature", ce qui, ici comme ailleurs, provoque, paradoxalement, un afflux de gros véhicules motorisés : marchroutkas, land-rovers et autres types de tous terrains gourmands en carburant, creuseurs d'ornières et grand pourvoyeurs de fumée noire et de poudre jaune. C'est qu'il faut bien conduire les trekkers, assoiffés de paysages vierges et d'air pur, depuis l'aéroport de Tbilissi jusqu'à leur guest house de Khévie, puis de leurs lieux d'hébergements aux points de départs de leurs aventures.
Et oui ! A côté des Russes, qui viennent nombreux passer des weekends prolongés en montagne géorgienne, nous avons retrouvé les touristes français, espagnols, italiens etc , qui boudent le pays de Poutine mais cherchent de nouveaux horizons dans ceux qui s'ouvrent à l'Europe. Qu'on se le dise à l'ouest de Kiev : le "Caucasus trip" est très tendance cette année.
Au départ du sentier, près de la rivière, un petit café sympathique nous donnera l'occasion de tester les premières spécialités culinaires géorgiennes ; Khatchapuri, khinkalis, Tchakapouli.... C'est délicieux, sans parler du pain, qui est encore meilleur qu'en Russie.
A proximité se trouve une aire très bien ombragée où il est intéressant de se garer pour la journée. On doit pouvoir y passer la nuit sans problème On peut même faire le plein d'eau au café. Un jour, il y aura probablement un camping payant ici.
A Stepansminda, le meilleur point de vue sur Guergueti et le mont Kasbeck, c'est de la terrtasse du "Roomshotel". Cet établissement n'est certes pas un quatre étoiles mais, quand-même, une sorte de gîte de montagne haut de gamme, bâti tout en bois sur le versant opposé au Kazbeck. Malgré un chemin d'accès exécrable, il faut absolument y monter pour prendre l'apéritif ou y manger, s'affaler dans les coussins des confortables fauteuils de son salon-bibliothèque, un verre de vin géorgien à la main, et y rester le temps qu'on veut, pour se reposer d'une randonnée, profiter de sa collection d'ouvrages sur la région et jouir de son excellente connexion wifi, le tout face à un paysage grandiose.
Au Roomshotel nous décernons cinq étoiles pour la déco intérieure et le panorama extérieur.

Jusqu'à Tbilissi, d'où montent la plupart des marchroutkas chargées de trekkers, nous, qui venons de plus loin encore, ne ferons que descendre. A la sortie du village, nous tombons sur un groupe de rugbymen partant à l'entraînement. La communication est difficile car seul le demi de mêlée (au jugé, d'après son gabarit) parle un peu anglais, mais nous réussissons à savoir que l'un d'eux fait partie des Lelos, l'équipe nationale, et que le championnat reprend le weekend du 15 aôut. Ils connaissent bien le Top 14 et le Stade Toulousain, où jouent plusieurs Géorgiens.
- "Oh ! Toulouse, very good team !
- I want, yes !"

Quand on arrive à Ananuri, à peu près à mi-chemin, une halte s'impose. Une ancienne forteresse surplombe un lac artificiel au bord duquel il fait bon bivouaquer. On peut s'y baigner, car l'eau n'est pas du tout froide. Nous y avons passé la nuit de samedi à dimanche. En milieu de matinée, les rives ont été envahies par des Tbilisiens avides de fraîcheur. Barbecues, baignades et, bien sûr, tuning à fond la caisse. Nous leur avons laissé la place.
Direction Tbilisi.

Catégorie voyage 15 Derniers jours en Russie

(Billet du 31 juillet 2014) :

Stavropol :

Nous n'avions pas prévu de nous arrêter à Stavropol, mais, entre la Kalmoukie et le Caucase, la route est encore longue et nous avons opté pour une halte supplémentaire. Bien nous en a pris.
Au bout de la plate steppe kalmouke, Stavropol jouit déjà du climat d'une ville de montagne, agréable et bien ventilée. Elle est pourvue de grands parcs, et on peut facilement y trouver un bivouac dans sa partie haute, à côté du stade du Dynamo Stavropol, curieusement situé en plein centre.
Intrigué par sa consonance et sa signification grecques (la ville de la croix), j'ai fait quelques recherches. Ce nom est lié à la fondation de la place forte, au XVIIIème. En effet, au premier coup de pioche sur le site choisi, on aurait exhumé une croix. Mais pourquoi cette étymologie grecque ? J'émets l'hypothèse que l'idée vient de Potemkine, le célèbre général, amant de Catherine II, qui était chargé de cette mission fondatrice. En effet, j'ai appris qu'après la conquête de la Crimée, il se fit nommer "prince de Tauride" et qu'il fonda les villes de "Cherson" et Sebastopol, deux autres cités évoquant la Grèce et plus précisément la Chersonnèse antiques. Un philhellène, donc, et non seulement un turcophobe...
Hélas pour lui, plutôt que le souvenir de son fondateur, Stavropol, comme d'autres villes de la région, cultive celui de Pouchkine et de Lermontov, deux poètes amoureux du Caucase et tués en duel, dont les statues se dressent en bonne place.
Mais pour parler de Lermontov, mieux vaut poursuivre jusqu'à Pyatigorsk, notre prochaine étape.

Pyatigorsk :

Aux portes du Caucase, Pyatigorsk fait partie de ce que les guides appellent les "villes d'eaux", cités thermales dont les sources présentent toute la panoplie des vertus curatives que l'on peut imaginer. Les Russes y viennent pour se soigner ou simplement se reposer dans un des nombreux "sanatoriums" qu'on y a construits. On trouve donc à Pyatigorsk la même forme de tourisme et la même ambiance mollassonne que ce qu'on connaît en France dans les stations de ce type. C'est ici qu'est mort le turbulent Lermontov, poète et romancier, mi Byron mi François Villon. Comme Pouchkine avant lui et Tolstoï après lui, il aimait le Caucase, qu'il a souvent célébré et qui lui fournit le cadre de ses romans. Il aimait aussi le jeu, le vin et la vodka et c'est une stupide blague de banquet qui lui coûta la vie. Il fut tué en duel par un certain Martinov dont il avait moqué le nom (entre nous, il l'avait bien cherché...). La ville en éprouve encore du remord, paraît-il, et fait tout ce qu'elle peut pour le montrer. Pas au point, cependant, d'ouvrir quotidiennement le musée qui est consacré au grand homme et où nous avons trouvé porte close.
Nous n'avons pas encore atteint le Caucase. En tous cas, nous n'apercevons aucun relief autre que quelques cônes volcaniques surgissant de la plaine. Du sommet de celui de Pyatigorsk, nous espérions apercevoir le célèbre mont Elbrouz. Peine perdue, la plaine semble s'étirer à l'infini.
Le Caucase serait-il une invention des poètes et des voyageurs ?

Dernière étape en Russie :

Après le Kraï de Stavropol, on doit traverser la république Kabardino-Balkare. C'est un territoire instable dans lequel il vaut mieux ne pas trop s'attarder. La situation n'est certes pas aussi sérieuse qu'en Ingouchie, Tchétchenie ou Dagestan voisins mais les Balkares ont aussi des revendications indépendantistes qu'ils tentent de faire valoir par les armes de temps à autre.
Nous évitons donc Naltchik et traçons directement vers Vladikavkaz, capitale de l'Ossétie du Nord. Sur une assez longue distance, c'est aussi la route de l'Azerbaïdjan via la Tchétchénie et le Dagestan, et les panneaux indiquent des destinations plus ou moins attirantes. Passe encore pour Bakou, mais Grozny... Hum ! Ne ratons pas la bifurcation.
C'est fait. Nous filons maintenant plein sud et le relief du Caucase n'apparaît toujours pas. L'Elbrouz est à moins de 50 kms sur notre droite et nous ne le voyons pas. Il est vrai que le plafond des nuages est très bas, mais la route semble plate. Montons-nous un peu, tout de même ?
Vladikavkaz est la dernière ville russe que nous verrons. Dernières courses, dernier plein de gazole à 60 centimes (regrets...), et en route vers le poste frontière. Enfin, voici la montagne. La vallée se resserre de plus en plus et nous entrons dans une gorge dont nous ne sortirons que de l'autre côté, en Géorgie. Verkhnyi Lars est désormais le seul point de passage puisque les routes passant par l'Ossétie du Sud et l'Abkhasie sont fermées. Avant le départ, nous nous étions renseignés du mieux possible sur l'ouverture de ce check-point mais nous avions obtenu des informations contradictoires, y compris de l'ambassade de Russie. Les sujets d'inquiétude ne manquent pas : état actuel des relations Russie-Georgie, impact possible des tensions actuelles avec l'Europe, poste ouvert aux étrangers ou pas ... Dans les derniers kilomètres, notre gorge à nous est aussi un peu serrée. Mieux vaux ne pas être refoulés car notre visa arrive à expiration et nous n'avons pas de solution de repli par l'Ukraine !
En réalité, tout s'est bien déroulé, même si les formalités ont duré plus de trois heures du côté russe.
Côté géorgien, tout va très vite, car personne n'a besoin de visa, pas même les citoyens russes, nombreux à se présenter. On ne descend pas de voiture. Passeports, papiers du véhicule, photo, enregistrement, grand sourire et roulez jeunesse.
Nous sommes en Géorgie.
A la sortie de la gorge du Darial, un panneau indique l'altitude. Surprise ! Depuis Pyatigorsk, nous n'avons pas vraiment eu l'impression de monter, et pourtant nous sommes à... 1800 mètres !

Catégorie voyage 14 Elista

(Billet du 30 juillet 2014) :

D'Astrakhan à Elista, il n'y a rien, et la route fait maintenant penser à une traversée du Sud Algérien ou de l'Arizona américain. Une fois qu'on a monté les 6 vitesses du camion, calé le moteur sur 2500 tours et qu'on s'est lassé de compter les kilomètres et les quelques moutons qui s'échinent à brouter une herbe rare, il ne reste plus grand chose d'autre à faire que laisser son regard s'abîmer dans l'étendue de la steppe, et consacrer le temps qui reste à la contemplation de son paysage intérieur.
Les panneaux indiquant les "aires de repos" et figurant un petit sapin et une table de pique-nique (les mêmes depuis Mourmansk !) font pitié. Les dites" aires" aussi, d'ailleurs, sur lesquelles on est bien content de trouver un petit "Kafe", souvent une simple cabane dans laquelle on peut se restaurer et/ou se rafraîchir pour trois fois (encore et toujours) rien.
Cette steppe, c'est le territoire de la République Kalmouke. Les Kalmouks, aujourd’hui sédentarisés, sont à l'origine des pasteurs nomades. Arrivés de Mongolie au XVII° siècle, chose surprenante, ils semblent avoir amené avec eux, non seulement leurs troupeaux, mais aussi le paysage de leur terre de départ. C'est peut-etre pour cela que les tsars ont accepté leur migration tardive et les ont laissés peupler ces espaces peu hospitaliers et quasi désertiques dont personne n'avait voulu avant eux. C'est la dernière vague mongole, mais il s'agit, cette fois, d'une installation pacifique. En effet, les Kalmouks sont bouddhistes et, au cours de leur histoire, ont subi bien plus d'exactions qu'ils n'en ont infligées.
Quand on entre à Elista, après 200 km de quasi désert vers l'Ouest, on arrive donc... en Orient, quelque part entre Oulan Bator et le Tibet. La ville est ethniquement très homogène. On y croise peu de Russes et la plupart des habitants sont de type mongol. Le visiteur ne peut pas manquer l'immense temple, occupant un espace qui serait, ailleurs, consacré à une cathédrale orthodoxe. Tout le décorum habituel du culte bouddhiste est bien présent, avec les multiples statues de Bouddha, les moulins à prières, les bâtonnets d'encens etc.
C'est que les Kalmouks cultivent leur identité avec d'autant plus de volonté qu'ils ont failli être exterminés à plusieurs reprises. Les habitants actuels sont les descendants des rescapés de la déportation collective de 1945 en Sibérie, que Staline leur avait infligée, à l'instar des Tatars de Crimée, pour les punir de leur collaboration avec l'armée allemande en route vers Stalingrad.
On n'est donc pas surpris de voir les cérémonies de mariages se dérouler autour du temple, ni de tomber sur un stupa en plein centre ville, encore moins de trouver un peu partout des portraits du Dalaïlama, qui est venu ici à plusieurs reprises, dont une fois pour la pose de la première pierre du temple et une autre pour son inauguration. On reste plus perplexe devant le toit des abribus, en forme de pagode, qui tiennent davantage du décor de cinéma ou de parc d'attraction. Étrange...
Curieusement, le monument du souvenir consacré à la déportation de 1945 semble peu honoré. A l'écart du centre, il nous a paru délaissé et nous avons eu des difficultés à nous le faire indiquer. Quant à la rue Krouchev qui y mène, personne ne la connaît. Elle porte pourtant le nom de celui qui a autorisé le retour en 1956.
Beaucoup plus facile à trouver est la"chess city", née de la volonté d'Ilioumjinov, oligarque local passionné, président de la FIDE, qui a voulu faire de sa ville la capitale mondiale des échecs. Ce grand complexe un peu délirant est entièrement dédié à ce sport, avec grand parking, hôtel, halls d'expositions, salons de réception, auditorium, salles de cours, et, bien sûr, tables de jeux.
Tout est prévu pour accueillir le monde entier. Cependant, nous avons trouvé ces lieux déserts. Pas le moindre pousseur de pion, adepte de l'ouverture espagnole ou du coup du berger. Nous n'avons vu que des gardiens et des vendeuses de souvenirs, tous charmants et visiblement ravis de rencontrer leurs clients du jour. A part eux, pas âme qui joue.
Une heure plus tard, nantis de quelques colifichets et délestés de quelques roubles, nous quittons cette diagonale du fou pour la ligne droite du Caucase.
Direction Stavropol.

Catégorie voyage 13 Astrakhan

(Billet du 29 juillet 2014) :

Après la mauvaise expérience du tronçon Tambo-Volgograd, nous redoutions l'étape suivante. A tort, car, entre Volgograd et Astrakhan, l'état de la M6 est très satisfaisant. Une fois quittées les banlieues, reliées à la ville par d’interminables rails de tramway, on suit, comme entre Mourmansk et Kem, un long trait d'asphalte, la plupart du temps en ligne droite, avec, de temps à autre, quelques possibilités d'arrêt à une station service ou à un "kafe". Mais ici, point de toundra, ni d'ailleurs de quelque autre forme de végétation arborée. C'est déjà la steppe, et ses grandes étendues d'herbe jaunie. Nous ne sommes pourtant pas loin de la Volga, le long de laquelle s’égrainent cinq ou six villages, avec quelques parcelles irriguées, que la route laisse systématiquement sur la gauche. A part cela, tout est sec.
A l'arrivée, nous avons élu domicile près des quais, remarquablement aménagés. On peut y flâner longuement, en compagnie des Russes qui font le paseo entre amis ou en famille. On y trouve de l'animation et un peu de fraîcheur (Dieu qu'il fait chaud en été dans le sud de la Russie ! On regretterait presque le climat de Mourmansk.)
Nous sommes arrivés pendant le weekend des fêtes de la marine, qui sont célébrées un peu partout, le dernier dimanche de juillet (V.Poutine était à Mourmansk). Des navires de guerre étaient mouillés en file indienne sur le fleuve, ponts briqués, mâts et haubans pavoisés, équipages au garde à vous. Au matin, nous avons assisté à un défilé naval suivi par une foule clairsemée et distraite. Des migs sont venus parachever le spectacle au dessus de nos têtes. Deux jours plus tard, nous lirons sur Internet que l'un d'entre eux s'est écrasé non loin de là...
Tout cela est bien beau, bien propre, bien moderne, mais où est donc passé l'Astrakhan d'autrefois ? L'Astrakhan des Tatars et des Cosaques, celui de Potocki et d'Alexandre Dumas, le port mythique de la Caspienne, la Mecque du caviar et de la fourrure ? Sur les photos du XXème siècle, même sur les clichés d'après guerre, on voit encore, aux abords du kremlin, des marchés aux airs de bazars, des redoutes minuscules avec leurs empilements de peaux et de tapis, des entrepôts vastes comme des caravansérails, et des foules où se mêlent, sous le bonnet bien connu, visages slaves, mongols, caucasiens et asiatiques. Aujourd'hui, toute cette partie centrale de la ville est très largement russe ; on y chercherait vainement le souvenir de la horde d'or ou de Stepan Razine et la moindre trace d' effluve turque ou persane. Le kremlin est superbe et les travaux de restauration en cours le rendront bientôt encore plus beau mais c'est aujourd'hui une forteresse-musée qui ne diffère guère des autres kremlins de Russie.
Même dans les blocs situés entre la Volga et les boulevards, quartiers manifestement anciens, à l'habitat de bois plutôt délabré, on ne trouve plus ce côté "porte de l'orient" qui faisait, paraît-il, le charme de la ville. C'est dans les zones plus périphériques que réside aujourd'hui la population d'origine caucasienne ou asiatique, et le peu que nous en avons vu est proche du bidonville.
Sans doute n'avons-nous pas tout perçu, senti, compris, et nous sommes restés trop peu de temps pour nous faire une idée juste de l'Astrakhan d'aujourd'hui. Nous avons aimé cette ville, mais nous n'avons pas été frappés par son caractère cosmopolite.

Catégorie voyage 12 VolgoStalingrad

(Billet du 26 juillet 2014) :

Entre la gare d'Astapovo et Volgograd, il y a plus de 500 km. La M6, que l'on rejoint à Tambov, est à deux voies, mal asphaltée et rapiécée de toutes part. Pour la première fois depuis Mourmansk, nous suivons une route vraiment, continûment, mauvaise. En outre, le paysage est sans grand intérêt. Les immenses champs de maïs que nous traversions depuis Tula, et les tournesols qui poussaient dans une belle et riche terre étonnamment noire, s'espacent, puis disparaissent, cédant la place à des étendues monotones et apparemment stériles. Cette portion de la M6, c'est l'itinéraire des camions qui font l'aller-retour entre Moscou et la mer Caspienne. On y reçoit subitement une grosse bouffée de sud, aux relents de gasoil chaud et de sable poussiéreux. Il faut rouler, tout au long de ce parcours cabossé, où les lieux de pause sont plutôt déprimants, voire glauques.
Arrivés tard dans la nuit dans le centre de Volgograd, après avoir franchi des kilomètres et des kilomètres de faubourgs où il ne ferait sans doute pas bon s'arrêter trop longtemps, nous tombons par hasard sur un parking gardé (une chance, car nous n'en verrons aucun autre par la suite), auquel nous demandons asile pour cette première nuit en terre inconnue. On nous l'accorde volontiers, pour une somme modique. Tranquillité assurée et repos bien mérité, malgré quelques travaux dans la rue.
C'est avec plaisir que nous découvrons le lendemain, sous un beau ciel bleu, une ville moderne, très agréable, vivante et aérée, quadrillée par de larges avenues..

Volgograd :

Volgograd, c'est Stalingrad
Rebaptisée après 1956, la "cité de la Volga" n'en garde pas moins les stigmates de son passé récent : la bataille de l'hiver 1943. La défaite de l'armée allemande en route vers le pétrole de Bakou, et prise au piège dans une place qu'elle croyait conquise, fut déterminante pour la suite des combats sur tous les fronts, et sans doute décisive pour l'issue de la deuxième guerre mondiale. Quiconque s'intéresse un peu à l'histoire et/ou a pu lire l'hallucinant récit de Jonathan Little dans les Bienveillantes, ne visite donc pas Volgograd, mais Stalingrad, quelle que soit son aversion pour le régime et la personne du dictateur moustachu.
Il ne reste pas une pierre d'avant 43. Tout au plus quelques briques : un mur de la maison dite "de Pavlov" où la résistance des partisans fut particulièrement acharnée, et les briques d'une minoterie. On montre aussi un arbre, sous lequel les visiteurs se font photographier. Il n'a rien de bien extraordinaire, ce tilleul, et sa taille modeste ne lui confère pas l'aura d'un centenaire. Il devait être encore jeune à l'époque des bombardements, et c'est peut-être sa fragilité qui l'aura sauvé....
Tout, absolument tout, le reste a été détruit par les bombes et pendant les combats de rue.
Et tout, absolument tout, a été reconstruit après 1945, en quinze ans, non pas à l'identique, mais sur un plan du même type hippodamien. Toutes les rues, places et avenues portent des noms évocateurs : place des combattants tombés, rue des Komsomols, rue des Soviets, rues de la nième division, allée des héros etc... Notons cependant que, pour une fois, l'avenue la plus importante n'est pas le Prospekt Lénine mais la rue de la Paix (Mira), ce qui est plutôt sympathique.
De la place des héros et de la rue Mira, une longue et large perspective permet de descendre à pied jusqu'à la Volga. Les rives ne se prêtent pas à la promenade comme à Iaroslav, mais on peut faire une balade en bateau d'une heure sur le fleuve, jusqu'à Mamaiev Kourgan, une gigantesque statue de béton, encore plus haute que l'Alioucha de Mourmansk. Du haut de la colline Mamaï, la "Mére patrie" étend sur la ville son glaive protecteur.
Il faut, bien sûr, passer quelques heures au "musée de la bataille". Il est très fréquenté par les Russes qui s'attardent longuement devant les vitrines et les panneaux explicatifs. Tout n'est pas traduit en Anglais mais on suit néanmoins facilement les présentations. L’exposition propose toutes sortes d'objets pouvant illustrer et relater l’histoire de la bataille de Stalingrad : armes, cartes, photos, vidéos, affiches, documents divers, lettres, objets de la vie quotidienne... Le clou de la visite est le "panorama" qui, au dernier étage, sur un espace circulaire, donne une vue à la fois géographique et chronologique des combats et exalte l'héroïsme des partisans et l'esprit de résistance de tout un peuple.
Je n'aime pas beaucoup les musées "war games", mais le "musée de la bataille de Stalingrad" n'en est pas un. Il s'agit d'un mémorial, comme celui de Caen, ou peut-être d'un historial, comme celui de Pérone.
C'est ainsi que je me souviendrai de VolgoStalingrad, comme d'un lieu de mémoire, au même titre que les cimetières de 14-18 ou les plages du débarquement.

Catégorie voyage 11 Episode tolstoïen

(Billet du 23 juillet 2014) :

De Sergiev Posad, nous avons filé directement à Tula en contournant Moscou par le périphérique le plus intérieur (il y en a trois), aussi encombré que son homologue parisien. Pendant ce voyage, nous ne arrêtons ni à Saint Pétersbourg ni à Moscou, que nous connaissons déjà.
Nous avons passé deux jours (et dormi trois nuits) à Yasnaia Poliana, la propriété où Tolstoï a passé 60 ans de sa vie et écrit la plupart de ses œuvres, dont Guerre et Paix et Anna Karénine.
Dès la mort de celui que les Russes considèrent comme leur plus grand auteur et, peut-être, leur plus grand homme, Yasnaia Poliana est devenu un musée, que le régime du tsar a toléré et que les bolcheviks ont ensuite encouragé. C'est aujourd'hui un centre de rassemblement et de congrès pour tous les Tolstoïens (disciples, épigones, biographes, traducteurs, exégètes, adaptateurs, chercheurs...) du monde entier, un but de promenade pour les Russes du voisinage, un lieu de pèlerinage et de recueillement pour tous ceux et celles qui, sont fascinés par la personnalité et la destinée de l'homme et de l'écrivain, et un site passionnant à visiter pour les lecteurs qui gardent, quelque part en eux, l'empreinte de la littérature russe reçue dans leurs jeunes années.
Pour tous, sans doute, le même charme opère. Quand on se promène pendant des heures dans cette immense propriété, le long des allées du parc, en forêt sur les sentiers , en lisière ou à travers champs, on met ses pas dans les pas de Tolstoï (ou de son cheval...)
Pour tous aussi, l'impression doit être la même au moment de franchir le seuil de la maison. On entre directement dans le petit salon-bibliothèque, où rien, absolument rien, n'a changé depuis la nuit où Tolstoï a passé une dernière fois cette porte, et on est saisi d'émotion. Voici qu'on entre chez Tolstoï, on est chez Tolstoï, comme on ne l'est jamais dans aucune autre maison-musée d'écrivain. Le temps s'est arrêté la nuit de son départ. On s'attend à le voir descendre l'escalier, à entendre sa voix tonitruer depuis son bureau. Indicible présence.
Le deuxième jour, après la visite, notre guide nous conduit à la gare voisine. On peut y acheter des cartes postales estampillées et tamponnées Yasnaia Poliana. C'est dans cette gare qu'on a ramené son cercueil pour le ramener chez-lui, mais ce n'est pas là que Tolstoï est mort, ni même qu'il a pris le train quand il est parti secrètement de chez-lui, en pleine nuit de novembre 1910, pour se rendre on ne sait trop où, probablement dans le Caucase. Il est mort dans la gare de la ville d'Astapovo (aujourd'hui rebaptisée Lev Tolstoï), non dans un wagon, comme on le dit parfois, mais dans la chambre du chef de station, des suites d'un refroidissement contracté pendant le trajet. Pour ne pas être reconnu, il avait, paraît-il, voyagé en troisième classe, dans un compartiment pour fumeurs aux fenêtres ouvertes.
Nous sommes allés à Astapovo, qui se trouve à environ 150 kms au sud de Tula. Nous avons dormi près des voies. Sur le quai, depuis plus de 100 ans, l'horloge marque toujours 6h05 du matin. La maison du chef de gare se visite. C'est même un musée très intéressant. La partie la plus émouvante est, bien sûr, la chambre. Rien n'a été déplacé depuis le 20 novembre 1910. Le lit est toujours là, contre le mur. Sur la tapisserie, peu après 6 heures, quelqu'un a tracé le profil de Tolstoï.
La nouvelle a secoué toute la Russie et, malgré les efforts de la police tsariste, qui craignait que les obsèques ne se transforment en manifestation politique, des foules immenses et ferventes ont convergé vers Yasnaia Poliana.

La tombe ne comporte ni signe religieux , ni inscription, ni même dalle. C'est un simple tumulus enherbé, entre quelques arbres.

Catégorie voyage 10 L'anneau d'or

(Billet du 20 juillet 2014) :

Quittant Petrozavodsk à regrets, nous nous dirigeons vers Vologda. Vologda ne fait pas encore partie de ce qu'on appelle "l'anneau d'or", un ensemble de sites formant grosso modo un cercle au nord est de Moscou, mais nous avons beaucoup aimé cette ville.
Pour qui vient du nord, comme nous, le premier contact est un peu stressant car on retrouve, dès l'entrée, une circulation automobile dense. Depuis Bergen, et peut-être même Oslo, j'avais oublié ce que sont les embouteillages, les créneaux, les changements de file etc. Heureusement, les réflexes reviennent vite. Nous avons trouvé un excellent bivouac de l'autre côté de la rivière, avec vue imprenable et magnifique sur le Kremlin.
Dans la région, nous avons aussi visité deux monastères : Killinov et Ferapontov. Le premier a les faveurs des touristes car il est facile d'accès et plus photogénique. C'est une belle forteresse plantée sur les rives de la Volga. Les bateaux qui font la croisière Saint-Petersbourg-Moscou s'y arrêtent. Le deuxième est situé à côté d'un village peu peuplé, au dessus d'un lac. Le monastère est en restauration mais c'est un site merveilleux où il fait bon bivouaquer.
Non loin de là, sur la route de Saint-Pétersbourg, on peut se rendre à Cherepovetz. Il n'y a rien à voir d'autre que le musée consacré à Vassilli Verechtchaguine, peintre contemporain de Tolstoï. Comme lui, il était passionné des Guerres napoléonniennes et du Caucase. Il fut aussi un grand voyageur. Même si ses peintures sont à Moscou, sa maison vaut le coup d'oeil.
Pour parcourir l'anneau d'or, nous avons suivi l'itinéraire suivant : Iaroslavl, Rostov, Pereslav-Zalesski, Vladimir, Souzdal, Sergiev Posad, Alexandrov.
Impossible de décrire tout ce que l'on peut voir dans ces kremlins et monastères. C'est surtout l'aspect extérieur qui nous a plu. Nous avons beaucoup de chance car, depuis Petrozavodsk, mise à part une demi-journée un peu pluvieuse, le temps est très beau. Pas un nuage dans le ciel, soleil radieux. Les murs blancs et les coupoles dorées des églises, par groupe de 3, 4, 5..., parfois étoilées, se découpent parfaitement sur ce fond d'un bleu uniforme. Cela semble même parfois un peu trop coloré. Quand l'édifice a fait l'objet d'une restauration récente, certains regretteront qu'il prenne l'allure d'un décor de Walt Disney. Mais après tout, on a dit la même chose du plafond de la chapelle Sixtine.
Bien sûr, il faut aussi entrer dans ces églises, et ce n'est pas toujours chose facile. Rien n'est prévu pour le visiteur individuel, surtout s'il est étranger. Tout, absolument tout, est écrit exclusivement en Russe et si l' on arrive à déchiffrer le cyrillique quand il s'agit d'un simple nom propre ou nom de lieu, il n'en va pas de même pour les panneaux explicatifs. De plus, tout fonctionne à l'ancienne, d'une manière extraordinairement bureaucratique. Sur le même site, il faut plusieurs billets pour accéder aux différents édifices, parfois d'un étage à l'autre. Combien de fois nous sommes-nous fait refouler devant telle ou telle entrée parce qu'aucun des quatre ou cinq billets qu'on nous avait remis à la caisse ne convenait à cet endroit. Pénible... Sans guide, nous avons donc certainement manqué pas mal de belles choses mais ce n'est pas très grave. Nous avons pu admirer des fresques du XVIIème et XVIIIème d'une grande ampleur et d'une remarquable finesse, même si on n'y retrouve pas la spiritualité de la peinture serbe du XIIIème. Les icones, elles, sont au dessus de tout. Les Russes ont atteint la perfection dans ce domaine.
Nous avions prévu de terminer notre cycle "Anneau d'or" par Segiev Posad mais on fêtait les 700 ans de la fondation de la Grande Laure, et, en raison des festivités, les visites étaient suspendues. L'entrée était réservée aux pèlerins, qui affluaient par milliers. Le seul moyen d'accéder à la cathédrale, dans laquelle on peut voir de rares fresques d'Andrei Roublev, étant de prendre place dans la procession, nous nous mêlons à la foule des fidèles, au milieu des psaumes, chants, prières, signes de croix, génuflexions. Sous un soleil de plomb, nous piétinons pendant deux heures entre les barrières, pour finalement, trouver porte close en fin de parcours. C'est que nous avons fait la queue trop longtemps et arrivons trop tard ! A présent, l'église est pleine, on n'attend plus que le Métropolite qui doit venir célébrer l'office. Tout ça pour rien ? Pas tout à fait, car nous avons partagé un moment de vraie ferveur orthodoxe et assisté à l'arrivée de tout le haut clergé russe. Nous aurions pu toucher la barbe du patriarche.
NB : la sécurité était vraiment minimale, ce qui nous a surpris.
Mis à part à Sergiev Posad, qui était bouclée pour 4 jours, nous avons pris l'habitude de nous installer pour la nuit près des lieux à visiter et nous n'avons jamais aucun problème. Tout semble simple, finalement, et, surtout, paisible. Nous regrettons seulement, et de plus en plus, de ne pas pouvoir communiquer avec les Russes parce que nous ne connaissons ni ne comprenons pas un mot de leur langue et que personne ici ne semble parler Anglais. Pas même les jeunes, ce qui est quand-même surprenant. Quelle langue étrangère apprennent-ils donc à l'école ? Pas le Français non plus, en tous cas.

Catégorie voyage 9 De Mourmansk à Petrozavodsk

(Billet du 15 juillet 2014) :

De Mourmansk aux rives du lac Onega, il y a environ 900 kilomètres. Nous avons coupé la poire en deux et fait étape au bord de la mer Blanche, à Rabocheostrovsk, près de Kem. La route, visiblement refaite à neuf, est excellente. C'est un long ruban d'asphalte qui tranche la taïga. Il n'y a aucun autre endroit pour s'arrêter que les stations services, plus nombreuses, d'ailleurs, que nous le pensions. Les noms qui figurent sur la carte et semblent des étapes possibles ne sont pas vraiment des villes, mais des complexes industriels entourés de barres de béton, peu propices au pique-nique et encore moins au bivouac. Nous nous attendions à trouver beaucoup de camions mais ils étaient rares. L'avitaillement de Mourmansk et autres villes du nord doit se faire plutôt par le train et l'avion. En réalité, sur cette longue et bonne route, il y avait très peu de circulation. Nous sommes donc arrivés à Kem en roulant tranquillement.

Kem est la première vraie ville russe que nous rencontrons. Nous voilà pour la première fois dans un habitat traditionnel, où les isbas en bois sont plus nombreuses que les constructions en dur. Ces maisons, petites pour la plupart, sont souvent en mauvais état mais ne manquent pas de charme. Il y en a d'ailleurs de plus grandes, qui, restaurées, seraient vraiment magnifiques. Mais Kem est manifestement pauvre. La voirie est en mauvais état et les équipements sommaires. Il y a l'électricité mais pas l'eau courante, en tous cas pas pour tout le monde. Les habitants s'approvisionnent à la pompe. On en trouve plusieurs dans les rues, ce qui est d'ailleurs très pratique pour les fourgonistes que nous sommes.

A Rabocheostrovsk, nous bivouaquons sur le parking du seul hôtel, qui fait aussi office d'agence touristique et vend les billets de bateau pour les îles Solovki. Nous nous rendons le lendemain sur la plus grande, Bolchoi Solovetski, où nous passons la journée. On vient de loin pour y visiter un monastère qui fut un des plus importants et des plus riches de Russie avant la révolution d'Octobre. Sous Staline, l'ile devint un des centres de détention du Goulag (Soljenitsyne en parle dans l'Archipel du Goulag), les sanctuaires furent vandalisés, les trésors pillés. Aujourd'hui, l'église orthodoxe a partiellement repris possession des lieux et le monastère attire de nombreux touristes, russes pour la plupart. Les miradors, bien que ruinés, sont toujours là et il flotte encore dans l'air un vague parfum de pénitencier mais tout cela semble si loin ! Nous avons fait le parcours complet du site dans un groupe russe. Notre guide, Ludmilya, nous a pris en affection et s'est efforcée de traduire en anglais quelques passages de ses très longues présentations. Nous avons été frappés par le sérieux de cette visite guidée et l'attention de l'auditoire, qui a subi sans broncher plus de deux heures de cours magistral ! Beaucoup de gens viennent aussi sur ces îles pour leur aspect "nature". Il n'y a pratiquement pas de voiture. On peut s'y balader à vélo, randonner, camper, pêcher... La plupart de ces randonneurs et backpackers viennent plutôt d'Archangeslk, grande ville située de l'autre côté de la mer Blanche, sur des bateaux bien plus gros que notre modeste barcasse.

De Kem, nous nous sommes rendus à Petrozavodsk, au bord du lac Onega, et, après les rudes paysages de Carélie, ses villes déprimantes et ses habitants déglingués, nous avons trouvé... un petit coin de paradis. Le soleil, le ciel bleu, la chaleur, de l'herbe, un front de lac bien aménagé, piétonnier, avec des vacanciers en tenue d'été qui font le paseo en famille, des bancs publics, des bars, des restaurants, des amoureux, des chiens tenus en laisse, des joggeurs, et, surtout, une atmosphère de villégiature et de détente. Nous sommes encore au dessus du 60ème parallèle mais on se croirait presque en Méditerranée. Aussi avons-nous remisé dans les valises bonnets, pulls et anoraks, qui nous ont bien servi dans le Nord, et ressorti shorts, chemisettes, sandales et robes légères. Youpi, revoilà l'été ! Et, cerise sur le gâteau, vers minuit, revoilà la nuit, une vraie nuit avec de vrais morceaux de noir dedans, la nuit enfin retrouvée ! (Pas plus d'une heure, mais c'est déjà ça.)

A Petrozavodsk, nous avons pris un autre bateau pour aller visiter, cette fois, l'île de Kiji, sur laquelle se trouve un très célèbre ensemble d'églises et de maisons entièrement en bois. C'est un des "must" de tout voyage en Russie et nous ne pouvions pas le manquer, malgré le prix élevé du trajet en hydrofoil. On reste un peu sur sa faim, parce que l'édifice principal, l'église de la Transfiguration, avec ses multiples coupoles, chef d’œuvre absolu de l'architecture religieuse en bois, est en restauration. Les échafaudages gâchent la vue et on ne peut pas y pénétrer. Il ne reste à voir dans l'enclos que l'église de l'Intercession et le campanile. On se console en se baladant dans le reste de l'île qui est, en fait, un musée vivant à l'américaine, avec son forgeron, ses couturières, son carillonneur, son tailleur.. de bois tous habillés en costume d'époque et donnant des explications (en Russe) sur leur métier. Une belle journée quand-même.

Catégorie voyage 8 De Kirkenes à Mourmansk

(Billet du 10 juillet 2014) :

Le départ :

Nous avions choisi de demander nos visas de tourisme pour la Russie à Kirkenes et nous ne le regrettons pas. Nous nous étions pre-inscrits, comme il est requis, sur le site officiel et avions réuni tous les autres documents nécessaires (passeports, photos, voucher, programme, assurance-rapatriement) Sur place, nous nous sommes présentés au "Visa Center" où nous avons été très bien reçus. Le lendemain à 10 heures, nous reprenions possession de nos passeports dûment estampillés et validés par le consulat.

La frontière n'est qu'à quelques kilomètres de la ville, de l'autre côté de la rivière. Le passage a été très simple. Les formulaires étaient en russe et en anglais, et on nous a aimablement fourni un modèle pré rempli. Ainsi, les formalités ont été bouclées en moins d'une heure, ce qui n'est rien par rapport au poste frontière de Lappenranta (entre Helsinki et Vyborg) où nous nous étions présentés il y a quelques années (4 heures).
La dernière barrière sitôt levée, le voyageur se trouve face à un panneau qui indique clairement les seules routes autorisées jusqu'à Mourmansk. Cela correspond à ce que nous avions lu auparavant ; nous voilà rassurés. Autre sujet de préoccupation vite dissipé : l'état de la route et la signalisation. Nous avions vu sur You tube une vidéo qui nous avait causé quelque souci, mais tout a été beaucoup plus simple que ne semblait l'indiquer cette odyssée. Quant au revêtement, il était impeccable. Le ciel était bleu, le thermomètre à 15° et le moral au beau fixe.

Pourtant, si la météo est évidemment la même de part et d'autre de la frontière, le climat change. Nous traversons une zone militaire, avec, de loin en loin, des barbelés, des miradors et quelques check points, que nous franchissons au pas (mais sans contrôle). Le long de la route, on trouve aussi beaucoup de monuments commémorant les batailles de la deuxième guerre mondiale. Ces mémoriaux sont imposants mais pas ostentatoires et, si les gerbes de fleurs abondent, c'est sans doute dû à la proximité du 9 mai.
Nous nous arrêtons pour déjeuner à Zapolyarny. Ce n'est pas vraiment une ville mais une série d'alignements de béton gris, de grands ensembles destinés aux employés des mines de Nickel et leurs familles. C'est déjà lugubre par une longue et belle journée de juillet sous le soleil. Imaginons l'hiver avec deux mois sans voir la lumière du jour !.. Ici, rien ne semble avoir changé depuis l'époque soviétique.

Mourmansk :

La ville est-elle à la hauteur de sa réputation : guerre froide, sous-marins tapis dans les fjords, poubelle nucléaire... ?
Oui et non.

Ce que nous avons vu :
La ville n'est pas belle. Pas vraiment affreuse non plus, mais elle semble sans âme. Nous n'avons pas trouvé de vrai centre. Une large et longue avenue (Lénine) la traverse de part en part et, à part quelques façades un peu anciennes (si peu ; la fondation date de 1915). Aucun édifice ne semble digne d'intérêt. Des banques, des bâtiments officiels ou administratifs dont on ne peut pas connaître la fonction si on ne sait pas le Russe, et peu de magasins. La place centrale, dite des "cinq coins" n'a de "place" que le nom et de "central" qu'une position arbitrairement définie sur le plan. On trouve aisément la gare mais il faut monter patte blanche pour accéder à son hall, surmonté d'une assez belle coupole. Au musée des Beaux Arts, il semble qu'il n'y ait pas de collection permanente mais nous avons vu une bonne exposition de portraits du XVIIIème et du XIXème en provenance du musée Pouchkine. Nous étions les deux seuls visiteurs.
Sur les hauteurs se dressent d'imposantes murailles d'aspect historique. Ce n'est pas une forteresse mais un ensemble de barres de béton. Elles ont, ma foi, belle allure. Et puis c'est du solide. Pour avoir logé en 2012 dans un appartement situé dans un bloc de ce type stalinien à Moscou, nous avons vu que c'était fonctionnel, très bien isolé, bref très habitable, si l'on fait exception de l'environnement extérieur et pourvu qu'on ne le partage pas entre deux ou trois familles, comme c'était le cas à l'origine.

Qu'avons-nous vu d'autre à Mourmansk ?
La ville n'est pas très étendue et ses 350.000 habitants résident surtout à Kola et dans les cités interdites du Nord, au bord de la mer de Barentz, là où se trouvent la flotte et le complexe militaro-nucléaire.
Les monuments qui s"imposent à la vue sont presque tous des mémoriaux. Une église est dédiée aux sauveteurs et, à côté, un phare rappelle le souvenir des marins ayant "péri en mer" De longues listes s'étirent dans les registres et sur les dalles. Entre les deux, on trouve une partie de la cabine du Koursk, ce sous-marin nucléaire qui, en 2000, s'est trouvé piégé au fond de la mer de Barentz et dont l'équipage s'est vu mourir à petit feu, sous le regard impuissant du monde entier. C'est vrai : le Koursk était basé à Mourmansk.
Durant notre séjour, nous sommes passés plusieurs fois devant ces trois monuments en descendant du parking de la petite station de ski où Tiresias bivouaque pour la nuit (qui ne tombe jamais, ici non plus). Un peu plus à l'ouest, c'est "Aliocha" qui domine la ville. Cette colossale statue de béton, visible de très loin est devenue l'emblème de Mourmansk. Il s'agit, bien sûr, d'un soldat qui, l'arme à l'épaule, veille, le regard rivé sur la ligne bleue de l'occident. Si, à Saint Pétersbourg, on est frappé par la permanence du souvenir des guerres napoléoniennes, ici, dans l'Arctique, c'est le traumatisme des années 41-45 et le souvenir des sacrifices de la "grande guerre patriotique" qui continuent de peser.

Mourmansk, seul port au nord du cercle polaire à ne jamais être pris par les glaces, est donc avant tout une ville industrielle, neuve, créée de toutes pièces pour l'industrie et pour l'armée.
Le port est bien visible depuis les hauteurs, mais il est fermé. La seule zone accessible est le quai d'embarquement pour passagers, où nous n'avons d’ailleurs rien vu qui ressemble à une gare maritime. On peut y visiter le Lénine, un brise glace nucléaire désarmé, premier de son espèce. Pour accéder à cette partie de la ville, il faut franchir, dans un quartier peu propice à la flânerie, plusieurs voies ferrées. Comme la gare est toute proche, les manœuvres sont fréquentes et les barrières souvent baissées. Rien n'est automatique. Les feux clignotants et le mécanisme sont actionnés par des humains et les annonces sont faites au micro. Ambiance soviétique encore.

En résumé, on ne peut certes pas dire que Mourmansk soit une ville à visiter. On n'imagine pas pouvoir y vivre, surtout en pensant à ce que doit être l'hiver. Les habitants ne sont pas gais et beaucoup d'hommes semblent plutôt déglingués, même si les femmes russes, fidèles à leur réputation, sont toujours soucieuses de leur tenue. On n'a pas envie de rester ici plus d'un jour ou deux. Malgré cela, on ne s'y sent pas oppressé. Nous avons trouvé les gens plutôt accueillants et prêts à nous aider. A la boutique Megafon, on nous a dotés d'une clé 3G qui marche du feu de Dieu, bien mieux et pour trois fois moins cher qu'en Norvège. La nuit, nous avons dormi sur un parking gardé et gratuit. Au musée, nous avons longuement discuté (en espagnol !) avec un gardien cap hornier (4 passages). A l'oreille gauche, il arborait fièrement la boucle avec l'inscription "Drake" qui le rattache à la confrérie mondiale des marins qui ont le droit de cracher et de pisser au vent.

Nous qui n'avons pas ce privilège allons simplement laisser Tiresias nous porter vers le sud, d'abord vers Kem, au bord de la mer Blanche, puis vers Petrozavodsk, sur les rives du lac Onega.

Catégorie voyage 7

(Billet du ) :

Catégorie voyage 6

(Billet du ) :

Catégorie voyage 5

(Billet du ) :

Catégorie voyage 4 De Stavanger à Bergen (Fjords 1)

(Billet du 14 juin 2014) :

La route 13

La route 13, que l'on peut suivre pour se rendre de Stavanger à Bergen, est l'occasion de découvrir progressivement la région des fjords. De Tau à Roldal, on prend deux fois le car-ferry et on s'engage dans un paysage montagneux.
On n'est pas immédiatement dépaysé. On pourrait se croire dans les Alpes ou dans les Pyrénées. Une route sinueuse, qui monte et qui descend, des lacets, des épingles à cheveux, et tout autour, des sommets, des crêtes, des cols, des pentes enneigées, des forêts, des chutes, des vallées glaciaires occupées par les lacs d'altitude...
Ah ! mais non, ce ne sont pas des lacs, c'est la mer du Nord qui pénètre jusqu'aux tréfonds de ce relief accidenté, et si l'eau n'y est pas salée (testée et tastée par contrôle canin), c'est seulement parce que d'innombrables cascades et torrents s'y déversent. Quant aux montagnes que l'on traverse, elles ne sont finalement pas si hautes. C'est la latitude, plutôt que l'altitude qui donne à leurs sommets cet aspect et ce climat de "haute montagne"
C'est cela qui surprend, et qu'on reconnaît comme unique. Non pas tant l'association (connue) de la mer et de la montagne, mais cette intrusion profonde et lointaine du niveau zéro de l'océan dans un paysage de type alpin ou pyrénéen. De gros navires remontent ces fjords. Imagine-t-on un voilier au mouillage sur le lac de Gaube, un bateau de croisière voguant du golfe du Lion jusque dans une station de ski de Haute Savoie ? C'est cela que l'on voit, dans un paysage de fjord norvégien.
Dès lors, on peut s'arrêter cent fois, contempler, photographier, tenter de fixer des contours, la lumière, les reflets du ciel, des arbres ou de la falaise, la vue d'un village avec sa petite église en bois, mais ce qui plaît surtout, c'est d'avancer dans le paysage, de découvrir, perdre et redécouvrir le fjord au détour d'un virage, au point de bascule d'un col, de plonger vers lui, de le longer, de le contourner, de le franchir, parfois, puis de le perdre à nouveau. En voici un autre. Ou n'est-ce pas le même ? Car l'incision n'est pas linéaire, et les replis du bleu sont nombreux : méandres, petits golfes, élargissements, rétrécissements. Tout est fait pour donner le change.
Alors changeons, roulons.

Les villages :

Villages ou petites villes ? On en traverse plusieurs, le long de la route 13, jusqu'à l'embarcadère de Kinsarvik : Sand, Roldal, Odda, Tyssedal, Lofthus. Chacun mérite un court arrêt, ne serait-ce que pour aller voir sa petite église (toujours en bois). A part cela, tous m'ont paru vides, tristes, suintant l'ennui. Peut-être la saison touristique ne bat-elle pas encore son plein. Ou ces stations sont-elles plus fréquentées pendant la période des sports d'hiver ? En tous cas, c'est à Odda que je décerne la palme de la morosité. Tournant le dos à son statut de station thermale, elle s'est orientée au XXème siècle vers la production d'énergie hydroélectrique. Las ! la clientèle des thermes a d'abord fui les usines, puis la houille blanche a perdu tout son intérêt depuis la découverte du pétrole en mer du Nord. Lui restent des installations rouillées, les camping cars de passage et le ski. Cela me rappelle un peu certains villages des vallées pyrénéennes. En moins bien.

Bergen :

Bergen, que j'ai pourtant visitée sous des trombes d'eau, m'a tout de suite parue plus animée et plus vivante qu'Oslo. Deux quartiers (tout proches) attirent du monde.

Le port d'abord : Les quais historiques de Bryggen, ancienne ville dans la ville, affiliée à la ligue hanséatique et donc sous contrôle allemand du XVème au XVIIIème siècle, restent chargés d'histoire. Pourtant, les maisons qui bordent ce bassin en U ont entièrement brûlé à plusieurs reprises et n'ont été que partiellement reconstruites à l'identique. Mais il reste un site plein de charme et de vie, même si les touristes et les bateaux de plaisance constituent aujourd'hui l'essentiel de son activité.
Sur le marché au poisson, on vend (cher) les spécialités bien connues de pays scandinaves : saumon sauvage, harengs séchés et fumés, et même baleine. On fait volontiers goûter le passant curieux et gourmand. Ici, tout le monde parle français, comme par hasard !
Dans ce quartier, on peut se dispenser de la visite à l'Hanseatik Museum. C'est cher et on n'y apprend rien, sauf peut-être si on n'a jamais entendu parler de la Hanse auparavant. Quelques objets hétéroclites, un tonneau par ci, un livre de comptes par là, un ou deux costumes d'époque (sans qu'on vous dise laquelle), deux ou trois cartes, bien peu de choses... Seul intérêt : les salles sont les pièces d'une des maisons reconstruites après le dernier incendie de 1955.
Le port d'aujourd'hui, le vrai, est situé un peu plus loin et semble très actif. J'y ai vu de nombreux bateaux de commerce. C'est aussi le point de départ de l'express côtier, qui conduit les voyageurs en croisière jusqu'à Kirkenes. De dimensions plus raisonnables que les buildings flottants de Méditerranée ou des caraïbes, il fait la même route que moi, en 11 jours, par la mer. J'aurai donc l'occasion de le revoir, lui ou un de ses frères, dans un autre port. Tiresias aime bivouaquer sur les quais.

L'autre quartier est à la fois plus commercial et plus culturel. A proximité d'un petit lac, en plein centre, on trouve une grande rue piétonne, avec un monument à la gloire des marins et découvreurs norvégiens et, un peu plus loin, des statues de célébrités locales : le violoniste Ule Bulle et le dramaturge Holberg. Devant le théâtre national, Ibsen, qui en fut le directeur, a, bien sûr, toute sa place.
Au bord du lac, quatre musées importants, numérotés Kode 1, 2, 3 et 4 (la dénomination ancienne qu'utilise encore le GDR est obsolète). Tous valent la peine que l'on y consacre quelques heures mais il faut au moins voir le Kode 3, (collection Rasmus Meyers Samlinger), ne serait-ce que pour les œuvres de Munch qui y sont exposées. Finalement, c'est dans ces salles que se trouvent ses toiles les plus intéressantes, davantage qu'à la Galerie Nationale d'Oslo et, a fortiori, bien plus qu'au musée Munch.
Des Munch, on en trouve aussi au Kode 2, consacré surtout à la peinture norvégienne mais, ici, on s'intéresse surtout aux paysagistes. Je constate que, comme à Oslo, les sujets de prédilection sont soit les travaux des champs soit la nature sauvage (scènes de chasses, cascades, animaux..) Je ne vois pas la moindre vue d'un fjord. Il est vrai que tous ces peintres sont plutôt dans le démonstratif que dans le contemplatif et ne font pas dans la dentelle l'aquarelle.
A noter que ces deux musées, vraiment très riches, présentent aussi de nombreuses œuvres d'artistes du XIXème et XXème siècle, de Gauguin à Picasso en passant par Cézanne, Matisse, les impressionnistes etc.

J'ai aimé Bergen pour son animation, son port et ses musées.
Tiresias repart sur la route des fjords, en direction d'Alesund.

Catégorie voyage 3 D'Oslo à Stavanger

(Billet du 12 juin 2014) :

- Kristiansand
- Stavanger
- Le Preikestolen

Kristiansand, Mandal, le phare de Lindesnes :

Entre Oslo et Stavanger, on peut ne pas s'arrêter à Kristiansand, où il n'y a rien de particulier à voir sinon un parc d'attraction et un musée d'art et traditions populaires, mais j'ai aimé l'atmosphère de cette ville au plan hippodamien. Au centre, à la place de ce qui fut autrefois une zone industrielle (aujourd'hui située hors de la ville), tout a été rénové et aménagé : promenade, herbe verte, bancs, et même une petite plage où certains se baignent. On s'y sent bien.
On peut ne s'arrêter qu'une heure ou deux à Mandal, petit village aux jolies maisons de bois, toutes blanches, mais très touristique.
Le détour par le phare de Lindesnes vaut la peine, bien qu'à l'arrivée on tombe sur un gigantesque rassemblement de camping cars. Le site est réellement très beau.Et puis, c'est le point le plus méridional de Norvège. Quand on part pour le cap Nord, il faut partir de l'autre extrémité du pays !

Stavanger :

A Stavanger, il faut s'arrêter.
La ville qui fut autrefois un important port de pêche et de transformation du poisson est devenue depuis les années 70 la capitale norvégienne du pétrole. On pourrait donc penser que les anciennes conserveries ont fait place aux raffineries et que l'odeur du mazout a remplacé les relents de saumure et de hareng fumé. Pas du tout. Si les rues de Stavanger sentent parfois la sardine grillée, c'est que celle-ci sort des cuisines d'un des nombreux restaurants chics qui les bordent. En effet,précisément parce qu'elle est le port d'attache des ingénieurs qui travaillent sur les plateformes situées au large, Stavanger est aujourd'hui une mignonne petite ville parfaitement poprette, coquette... et friquée. On s'y promène avec plaisir dans ses ruelles pavées et fleuries, on s'arrête devant les anciennes maisons de pêcheurs en bois, retapées, rénovées, boboïsées, on baisse la tête devant les drapeaux tricolores qui pendouillent devant les boulangeries ceci et les cafés cela mais on laisse les croissants et les expressos français aux Norvégiens qui ont les moyens de se les offrir. Ici le hamburger est au prix du menu entrée-plat-dessert, l'eau minérale au prix du vin rouge, le vin blanc au prix du Champagne et le Champagne doit être au prix de l'or (pas le noir).

L'or noir, justement il en est question dans le très intéressant musée du pétrole.
Riche, intelligemment conçu, l'Oljemuseum invite le visiteur à se plonger dans l'univers quotidien de la production sur une plateforme en mer. Tout est bien expliqué : la géologie, les méthodes de forage, l'organisation du travail, la prévention des risques, les types de plateforme etc. On voit les machines, on entre dans une capsule de plongée, on descend au fond de l’océan où l'on assiste à la réparation d'un oléoduc, on part en hélicoptère, on se retrouve sur le pont d'une plateforme, on voit, on entend, on sent, presque. C'est remarquablement fait et très complet. Voici même la pièce responsable d'une catastrophe en mer. "Braking the waves". On s'y croirait. Il ne manquerait plus qu'on rencontre l'héroïne dans le bus du retour !
Mais le parcours que le visiteur fait dans un musée et l'impression générale qu'il en retire sont largement conditionnés par l'orientation que lui ont donnée ses concepteurs. Or, si la pensée de ces derniers est réellement le reflet de celle des Norvégiens, ce que j'en retiens surtout, c'est l'incroyable angoisse que semble éprouver ce peuple devant la colossale richesse accumulée subitement dans les cinquante dernières années. Pays le plus pauvre d'Europe au sortir de la deuxième guerre mondiale, la Norvège est devenue le plus riche du monde après les émirats du Golfe ; et on dirait, à en croire ce qu'on lit à l'Oljemuseum, que ses habitants en sont comme stupéfaits, pétrifiés par l'extraordinaire découverte de ce jour de Noël 1968, tel l'imprudent qui a osé regarder la Gorgone en face (on nous rappelle, d'ailleurs, que le pétrole est une roche).
Deux questions reviennent en boucle :
1. Comment nous, Norvégiens, peuple du monde le plus amoureux et le plus proche de la nature belle et sauvage, pouvons-nous nous arranger avec l'idée que notre fortune est basée sur les revenus d'une énergie polluante et parfois destructrice ?
2. Que faire de tout cet argent ?
Ce sont les deux angoissants problèmes que pose, de manière récurrente, presque chaque étape du parcours. L'intention est louable et sincère et je ne dirais pas que cette avalanche d'interrogations sert à s'acheter une conscience. On trouve même quelques pistes de réponses : utiliser ces ressources pour protéger l'environnement, penser aussi aux énergies renouvelables, prévoir l'après pétrole, investir pour les générations futures, aider les pays en voie de développement...
Mais cette démarche intellectuellement honnête laisse quand-même une impression de malaise. Par exemple, que penser devant les statistiques qui expliquent, naïvement, que, non, l'explosion du revenu par habitant n'a pas rendu les Norvégiens d'aujourd'hui plus heureux que leurs grand-parents ? Poor new little rich man qui se demande si l'argent fait vraiment le bonheur et se désole déjà du malheur que son excès de bien être risque de causer au reste du monde !
Après le sanglot de l'homme blanc, allons nous voir couler les larmes d'or noir du crocodile du Brent ?

Le Preikestolen :

On a beau l'avoir vue cent fois sur des posters ou en couverture de brochures touristiques vantant la beauté des fjords de Norvège, c'est quand même un choc, une grande claque qu'on reçoit quand on arrive en haut de cette sacrée falaise, sur ce petit plateau rocheux, après deux heures de marche. J'ai eu beaucoup de chance ; il a fait toute la journée un soleil radieux, le sol était sec, et j'ai trouvé peu de monde car je suis parti tard en fin d'après midi. Quel pays merveilleux et quelle saison formidable pendant laquelle les journées sont si longues qu' on peut se permettre de partir en randonnée à 18 heures, pour arriver au sommet à 20 et se retrouver au camp de base à 22 !

La montée ressemble à une rando classique, sans difficulté, sur chemin bien balisé. C'est beau, sauvage, mais celui qui est habitué à la montagne n'est pas vraiment impressionné ni même dépaysé.
C'est au détour d'un gros bloc rocheux que j'ai découvert soudain la falaise, dont le dessin, à cette heure et avec cette lumière, m'est apparu à contre jour, comme un trait de crayon ou de fusain, angle droit finement tracé, noir, entre le bleu du ciel et celui du fjord. Dernière partie de l'ascension, les yeux rivés sur cette vision : Tout là haut, à l'endroit où le trait horizontal plongeait à la verticale dans le vide, un téméraire assis tout au bord balançait ses jambes, et cette silhouette qui épousait la forme de l'angle droit semblait à sa place sur la page, dans une pose naturelle et paisible qui ne ressemblait pas à une inconsciente fanfaronnade.
Là haut, sur le plat, je me suis approché du bord, le plus possible, en avançant le cou pour regarder. 600 mètres plus bas, l'eau avait exactement la même couleur que le ciel. En dessous de moi, il y avait des bateaux et, entre eux et moi, un avion qui faisait des ronds au dessus de l'eau ! Je me suis fait prendre en photo, comme tout le monde, puis me suis allongé sur le sol, comme les autres. Nous n'étions qu'une dizaine à cette heure-là, personne ne parlait.
Au bout d'un moment, un groupe de jeunes a commencé à sortir tentes et sacs de couchages et ils sont partis un peu plus loin établir leur campement pour la nuit. J'ai un peu regretté de ne pas rester avec eux mais j'ai pris le chemin de la descente d'un coeur léger. J'étais heureux.

Et au retour, c'est l'accident stupide. Non pas la cheville foulée ou le genou tordu. Non, c'est la panne devant le clavier, le trou de vocabulaire, le dégoût de l' adjectif archi rabâché, de l'image trop riche, de la comparaison qui affadit.
Alors, je ne dirai rien de plus sur le Preikestolen. Et dire que c'est mon premier fjord ! La vraie région commence à Bergen ! Que vais-je bien pouvoir écrire ?

Catégorie voyage 2 Arrivée à Oslo

(Billet du 4 juin 2014) :

D'ordinaire, je n'aime pas aborder un pays par sa capitale ; je préfère y arriver un peu plus tard ou, mieux encore, en fin de séjour, pour y retrouver les traces, même ténues ou déformées, des découvertes que j'ai faites en chemin. Comme un résumé lacunaire du voyage.

Mais Oslo est-elle une capitale ? Avec sa "cathédrale" miniature, son petit "théâtre national" et son kiosque de chef lieu de canton, elle a tout juste l'air d'une petite métropole régionale.
Le centre proprement dit se parcourt aisément à pied. Le réseau de transports en commun est dense, varié et efficace mais il est surtout utile pour rejoindre les quartiers qui s'étagent, loin, sur les montagnes environnantes.

La ville compte pourtant 700.000 habitants mais on se demande où il sont. Très peu de voitures, çela se comprend puisque le péage est dissuasif, mais où se trouvent les bipèdes ? Même en semaine, on en compte peu sur les trottoirs et il n'y a pas foule dans les rues piétonnes. Les seuls embouteillages sont parfois causés par des poussettes, que l'on rencontre partout, manœuvrées indistinctement (mais pas indifféremment) par des jeunes ou des vieux, des hommes ou des femmes. Certaines de ces charrettes embarquent quatre moutards d'un coup, assis deux par deux, face à face, comme dans nos anciens compartiments de train. Ici, plus encore que dans les autres pays scandinaves, l'enfant semble roi. D'ailleurs, quelle autre cité aurait choisi pour emblème un chiard colérique (le Sinnatagen) ?

Bien sûr, ce ne sont là que des impressions premières. En réalité, tous les chiffres le montrent, Oslo est une métropole dynamique, qui possède deux aéroports, est entourée de plusieurs périphériques concentriques et, si l'on ne voit pas les voitures, c'est qu'elles circulent autour du centre sur ces "rings" ou en sous-sol, dans un réseau de tunnels qui la traversent en tous sens et de part en part. Malheur au maladroit qui s'engouffre par erreur dans ce labyrinthe ! "Où est la sortie ?"

Il n'empêche. Je garderai d'Oslo le souvenir d'un gros bourg tranquille, dont les habitants se comportent comme s'ils vivaient à la campagne. La nature est d’ailleurs omniprésente, tout autour de la ville (en quelques minutes de métro de bus ou de tram, on se retrouve dans la forêt, au bord d'un lac) et en son centre même. Non seulement c'est petit, mais la moitié de la surface semble occupée par des parcs. Les Osloïtes y font du jogging, du vélo et de toutes sortes de machins à roulettes. Ici, on ne "promène" pas son chien, on court, ou on roule avec lui, en le tenant en laisse. Certains attellent même deux ou trois (grosses) montures pour faire de leur bicyclette un traîneau. Grand Nooord, quand tu nous tiens !

Tout semble simple et sans stress et, peut-être à cause de ce sentiment d'espace, on éprouve en permanence une réelle sensation de confort et de liberté. En trois jours, je n'ai jamais voyagé ni vu voyager personne debout dans le métro, même pendant ce qu'on appelle sous d'autres cieux les "rush hours". On peut d'ailleurs monter dans la rame avec son vélo (mais pas l'inverse !) , et même pédaler dans les couloirs qui se présentent souvent sous la forme de larges rampes. Imagine-t-on des cyclistes circulant ainsi dans les étroits boyaux de Paris ou à Londres ?

Il y a de la place, oui, mais peut-être pas pour tout le monde. Certes, Oslo est très cosmopolite et la population d'origine étrangère, nombreuse et très visible, est, paraît-il, bien intégrée. Je veux le croire, mais on voit tout de même dans les rues la même misère, majoritairement basanée, que dans les autres villes eutopéennes. Le passant est fréquemment sollicité par des vendeurs à la sauvette, les mendiants sont nombreux et les abords de la gare centrale et de l'opéra sont pleins de junkies, certains dans un état catastrophique. Et puis, .Brejvik n'était pas esquimau.

Mais alors, pourquoi vient-on donc à Oslo, si l'on n'est ni Osloïte, ni lauréat du Nobel de la paix ? D'abord parce qu'on y passe, de manière presque obligatoire, en arrivant de Goteborg, mais aussi parce qu'il y a tout de même des choses à voir, dont ces trois musées :

- Le musée Munch :

On en ressort presque déçu, parce que, finalement, la collection ne paraît pas si riche qu'annoncée. C'est que tout n'est pas exposé, car le musée a fait le choix de présentations thématiques tournantes, pour mieux éclairer tour à tour les différents aspects de l'artiste et de son oeuvre. D'un point de vue culturel et pédagogique, c'est une bonne idée, mais pour le touriste de passage, c'est une source de frustration, car des toiles majeures restent au placard. Où sont, par exemple, les autoportraits ?
(Bien sûr, "Le Cri" reste exposé en permanence.)

Pendant la période correspondant à ma visite, l'accent était mis, entre autres, sur les références de Munch à l'évolution des espèces et à diverses mythologies. C'est ainsi que j'ai pu voir une formidable série de lithographies intitulée "l"Alpha et l'Oméga" dans laquelle l'artiste prend le contre-pied rageur, vengeur et jubilatoire, du mythe du paradis perdu et du péché originel. Puissent les Femmen s'en inspirer au lieu de s'enliser dans des provocations vulgaires et improductives.

La Galerie Nationale :

C'est là que j'ai finalement vu le plus d'oeuvres intéressantes de Munch. 16 toiles sont présentées dans une grande salle. Parmi elles, un autoportrait, une émouvante "Puberté , une saissante "Mélancolie", une troublante "Inger" et de terrifiantes "Cendres".
Mais il n'y a pas que celle salle. Le reste de la collection du musée est très varié et propose au moins une toile de tous les grands peintres depuis la fin du XIXème.

Le musée des arts décoratifs :

Tout est intéressant ici parce que la présentation des objets (des œuvres) permet de bien comprendre (sinon de retenir) les débats artistiques, les remises en question, les rejets, les tentatives de dépassement, entre art déco, modernistes, postmodernistes, minimalistes, fonctionnalistes, art nouveau etc.
Étonnant de voir l'intérêt que peuvent susciter ces créations. Pendant toute la durée de ma visite, une dame est restée assise sur un pliant, plantée devant une des vitrines, à regarder des lampes de bureau. Et ce n'était certainement pas pour en choisir une.

Pour finir, une curiosité dans la cathédrale :

L'édifice n'a aucun intérêt mais, derrière l'autel, le retable est orné d'une curieuse cène en bois sculpté. Les apôtres semblent un peu éméchés et Jean s'écroule entre les bras de Jésus, dont les doigts levés semblent appeler une consommation plus qu'ils n'évoquent la Trinité. Sur la table, des assiettes vides et aucun verre. Dans un plat, au milieu, toute la place est prise par un cochon, dont Judas se détourne (avec dégoût ?..)

Je pars avec cette interrogation. J'ai visité Oslo sous la pluie et je l'ai quittée sous le soleil. Je ne suis pas allé voir le parc Vigeland ni le musée maritime.

Catégorie voyage 1 Quand est-ce qu'on part ?

(Billet du 10 mars 2014) :

C'est la question que se pose Tiresias, depuis ce jour de novembre 2013 où il s'est vu parqué pour l'hiver dans le sombre garage d'une ferme lauragaise. Deux jours plus tard, ses égoïstes timoniers lâchaient le gouvernail pour se barrer, seuls, au soleil.

Qui est Tiresias ?

Tiresias n'est pas un bateau, nonobstant la trop facile métaphore précédente.
Tiresias est un camion, avec lequel qui nous allons effectuer notre série de voyages, à partir du mois de mai 2014. Sorti, anonyme, de la chaîne de production des usines Fiat au printemps, c'est au début de l'été qu'il est ressorti, aménagé et personnalisé, de l'atelier de l'artisan à qui nous l'avions confié.
Tiresias n'est donc pas un camping car ; c'est un fourgon aménagé. Il tient à cette appellation comme nous sommes attachés à l'identité de fourgoniste et non de camping-cariste.
Tiresias est le deuxième du nom mais il ne faut pas l'appeler Tiresias II, car, avant d'être devenu un Fiat Ducato, il a vécu les 25 dernières années comme Renault Traffic, sillonnant l'Europe et une partie de l'Asie Mineure, avec une nette préférence pour les espaces méditerranéens.
Tout comme son héros éponyme,Tiresias a donc un WQ double vécu, mais il s'agit bien de la même et unique personne.

Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?

Le début de la deuxième vie de Tiresias coïncide avec le départ en retraite de ses deux propriétaires qui ont choisi de passer les premières années du reste de leur âge, non entre leurs parents, mais sur les routes du monde.
Le site s'appelle Périègèses en hommage à Pausanias et aux grands voyageurs de l'antiquité greco-romaine, mais aussi et en référence à leurs cycles itinérants. Si nous mettons le terme au pluriel c'est qu'il ne s'agit pas pour nous d'effectuer un "tour du monde" dans un sens giratoire, non que la difficulté nous rebute ou que l'envie nous manque, mais parce que nous ne sommes pas libres de toute attache et que diverses obligations nous obligeront à retourner régulièrement en France.

Nous avons donc prévu de nous déplacer d'est en ouest en plusieurs cycles, que nous avons choisi d'appeler des "saisons". Chaque saison comportera environ une douzaine d'"épisodes". "Périégèses" est donc, à tous les sens du terme, une "série de voyages".

La première saison nous conduira des Pyrénées au cap Nord puis nous verra traverser la Russie du Nord au Sud, de Mourmansk au Caucase. Après avoir fait le tour de la Géorgie et de l'Arménie, nous prendrons le chemin du retour via l'Ukraine et divers pays d'Europe centrale.

Départ de Toulouse le 21 mai. Retour prévu pour Noel 2014. Autrement dit "A Dieu vat" ou "Inch Allah".

Oui mais voilà, en attendant le grand jour,Tiresias le Périégète ronge son frein...