Nous entrons en Thaïlande par la province de Nan. C'est la moins visitée des régions du nord parce qu'elle se trouve à l'écart des grands circuits touristiques, à l'est du grand axe Bangkok-Chiang Mai-Chiang Rai, dont une partie est connue sous le nom de "triangle d'or", et de l'Isan, plus au sud, région frontalière du Laos et du Cambodge.
Nous arrivons par là parce que nous passons par le poste frontière assez confidentiel de Muang Ngeun.
De la frontière à Nan :
La douane lao franchie en à peine dix minutes, il faut parcourir environ deux cents mètres sans oublier de changer de côté. En effet, à partir de maintenant et pendant plusieurs mois, en Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Australie..., nous devrons rouler à gauche. Le changement n'est pas matérialisé sur la chaussée ; aussi avons-nous opéré "au pif", vers le milieu supposé du no man's land. Aucun visa n'est exigé du côté thaïlandais. Cette exemption est valable pour un mois renouvelable. Le véhicule peut circuler en Thaïlande pendant la même durée. Passé ce délai, il faudra effectuer un 'visa run", (sortie de Thaïlande vers n'importe que pays limitrophe et retour immédiat) ou bien faire prolonger notre exemption auprès des services de l'immigration et obtenir une extension équivalente pour Tiresias auprès de la douane. On peut souscrire l'assurance obligatoire dans un resto du coin : 350 baths pour 6 mois.
Vraiment, ce passage de frontière est facile.
Tout le monde nous avertit cependant de la dangerosité de la route qui mène à Ban Huay Kon, en contrebas. Fort dénivelé, épingles à cheveux, ravins. Nous quittons donc le poste frontière sur la pointe des pneus...
Allons donc ! Dangereux, ce ruban d'asphalte impeccable, ces virages calibrés, cette pente à 12 % ? Après les routes du Turkménistan et d'Ouzbékistan, les galères du Tadjikistan et du Tibet, serions-nous devenus plus aguerris que nous ne le pensions ?
Nous arrivons sans le moindre souci dans la vallée de Mae Nam Nan. Dans un paysage assez quelconque d'où les montagnes ont subitement disparu, les villages s'enchaînent, semblables d'aspect bien qu'habités par des minorités distinctes : Hmong, Mrabri, Htin, Kamu, et les Thaï Lü, d'origine chinoise. Rien n'incite à s'y arrêter sans raison.
Nan, Phrae et Lampang :
C'est à travers les petites villes de Nan, Phrae et Lampang que nous avons découvert un pays dont nous savons qu'il va beaucoup changer en plus de 2000 kilomètres, d'ici à la frontière malaisienne. Toutes trois ont beaucoup de charme et constituent une bonne initiation à la culture du nord et en particulier à l'art et l’architecture de style Lanna. Nous avons aimé ces temples ou prédomine le bois, largement ouverts sur les quatre côtés pour laisser circuler l'air et la pensée. Tous sont différents mais possèdent des caractéristiques communes. Au centre, le Wihan abrite les statues de Bouddha, dont la principale fait face à l'entrée. Les murs intérieurs sont souvent décorés de peintures murales inspirées des "jatakas", récits des vies antérieures du Bouddha.
Le toit, couvert de tuiles de couleur, généralement rouges ou vertes, est toujours très pentu et à plusieurs niveaux. A l'extérieur, le chedi, équivalent du stupa tibétain est de forme conique ou pyramidale et abrite des reliques ou des objets sacrés. L'entrée et les abords sont ornés de figures, mythologiques ou fantaisistes, quelquefois surprenantes.
Au plan matériel, la région donne d'emblée l'impression d'un pays plus développé que le Laos. Les routes sont bonnes, les automobilistes sages, les stations services clean, les toilettes nickel. Nous avons toujours été reçus avec chaleur et discrétion, et avons pu goûter aux premiers délices de la cuisine siamoise.
Nan :
Oublions le musée national en restauration pour quelques mois encore (seul le rez-de-chaussée est ouvert), pour nous attacher à quelques temples dignes d'intérêt.
Les murs du Wat Phumin sont ornés de peintures dont on trouve des reproductions dans tous les offices de tourisme du pays. D'ailleurs, pour certains, ce temple n'est rien moins que la "Chapelle Sixtine thaïlandaise". Sans aller jusque là, il faut reconnaître le caractère unique de la décoration intérieure. Tout est l’œuvre d'un seul peintre, qui y a consacré vingt ans de sa vie, dans un contexte historique particulier. A la fin du XIXème siècle, le vieux royaume de Nan survit, au milieu des bouleversements apportés par la colonisation. Chargé par un roitelet privé de tout pouvoir de célébrer la grandeur d'un état mort vivant, Thit Buaphan a choisi des scènes d'un Jataka peu connu, le Khaddhanah.
Dans cet épisode rarement illustré, un orphelin cherche ses racines en errant dans un univers sans repères.Toute la figuration évoque à la fois la fin d'une époque et la permanence de sa culture dans la vie quotidienne. Malgré la dominante nostalgique de l'ensemble, l'artiste s'est autorisé quelques détails grivois et personnels. Tout autour du temple, on le croise en train de conter fleurette à de jeunes femmes, et même, ça et là, à quelques lady boys. Quant à ces deux macaques mâles en train de copuler devant ce qui pourrait être un drapeau français, chacun en pensera ce qu'il voudra.
Tradition bouddhiste, évocation d'un monde finissant, génie et obstination d'un peintre local ; c'est à voir.
Le Wat Phra That Chang Kham, plus sage, contient une très grande statue d'un Bouddha assis, un chedi (stupa) particulièrement élevé. et une autre statue dont l'histoire mériterait d'être contée, si elle n'était aussi longue et ennuyeuse parce que banale. Aussi le lecteur curieux devra-t-il se contenter d'une incitation à chercher sur Internet les détails d'un tour de passe-passe archéologique où le plâtre se change en or (Non, non, toujours pas de lien hypertexte).
Sur l'autre rive de la Mae Nam Nan, le temple le plus vénéré est le Wat PhamThat Chae Haeng. Situé au sommet d'une petite colline, il offre un beau point de vue sur la ville et la vallée.
Phrae :
Jolie petite bourgade au bois dormant, Phrae compte plusieurs sanctuaires vénérables, dont le What Phra Baht Ming Meuang et le Wat Phara Non. Ancienne cité monastique, on la compare parfois à Luang Prabang, dont elle n'a toutefois pas la grandeur. C'est avant tout la cité du tek, avec de belles demeures anciennes en bois, dont la magnifique habitation Vongburi et la maison Waicharacha, anciennes résidences de négociants... en bois. Hélas ! le tek a été tellement exploité aux XIXème et XXème siècle qu'il constitue désormais une espèce menacée et protégée. Il faudra des décennies pour reconstituer un patrimoine forestier conséquent.
Lampang :
Comme à Phrae, on trouve ici de superbes édifices en bois, dont la maison Ban Sao, véritable cathédrale de tek aux 116 piliers. Transformée en musée, elle est entourée d'un jardin particulièrement soigné. "So british" ! comme ces cabines téléphoniques et ces boîtes à lettres rouges que nous voyons depuis Nan... et qui nous rappellent quotidiennement que nous devrions écrire !
Pour la première fois, nous découvrons ici un temple d'influence birmane, différent du style lanna : le Wat Si Rong Meuang. Encore plus ouvert sur les côtés, plus horizontal que vertical, malgré le chevauchement de ses pignons sculptés, c'est un plaisir d'y pénétrer en ôtant ses chaussures pour offrir à ses ses pieds nus la douceur d'un plancher aussi lisse qu'une plaque de verre.
Un peu à l'écart, le That Lampang Luang, plus ancien temple en bois, est également soutenu par d'immenses et splendides piliers de tek. J'y vois plutôt des colonnes et je me souviens avoir appris que les premiers temples grecs, tels le "sanctuaire A" d'Artémis à Ephèse, étaient, à l'origine, des édifices de bois, soutenus par des troncs de chêne ou, mieux, de cèdres. Ce n'est que plus tard que la pierre remplaça le bois, parce qu'elle était réputée plus solide et qu'on pouvait empiler des fûts préformatés. A moins que déjà, le bois ne se raréfiât., Dans la cour de ce même temple, un curieux édifice fait office de camera oscura et montre l'image inversée des bâtiments extérieurs. On ne sait trop pourquoi, il est interdit aux femmes. Pour ne pas leur mettre la tête à l'envers ?
De tout ce qu'il y a encore à voir (et que je pourrais décrire) à Lampang, je garde le souvenir de ce pont ancien tout blanc au pied duquel nous avons tranquillement bivouaqué, en plein centre ville, au bord de la rivière Mae Wang, et du petit tour que nous avons effectué à la fabrique Khun Manee pour goûter des kowdaan, délicieux gâteaux de riz soufflé. Nous avons fait des stocks mais je doute qu'un seul de ces paquets arrive jamais en France...
Chiang Mai :
Pour rallier Chiang Mai, nous retrouvons une autoroute, la Highway n°1, qui vient de Bangkok. C'est la première fois que nous roulons sur une quatre-voies depuis la Chine. Tirésias apprécie.
La deuxième ville de Thaïlande est une vraie grande ville. Nous y retrouvons de grands centres commerciaux qui, pour être francs, nous manquaient un peu au Laos... On y trouve tout ce que l'on connait en Europe, du magasin de meubles au supermarché en passant par le bricolage, avec toutefois une petite différence. En Thaïlande, la cuisine est une chose sérieuse. Loin des tristes et chères sandwicheries de chez-nous, de gigantesques "food center" pemettent de se régaler, pour trois fois rien, de petits plats succulents. Même le Mac Do' a une jolie petite touche locale.
Notre premier bivouac, rencontré par hasard, se trouvait dans une impasse bordant le Wat Chian Mongkol, au bord de la rivière. Maintes fois remanié et reconstruit, ce temple ne figure pas dans les guides touristiques mais nous découvrons qu'il s'agit d'un plus anciens sanctuaires de Chiang Mai. En journée, il est très fréquenté, surtout par des couples (fiancés ou jeunes mariés) qui viennent relâcher dans l'eau de petits poissons ou donner leur envol à des oisillons. De là, on peut monter sur un bateau pour la vieille ville ou ailleurs, vers des destinations que nous n'avons pas explorées. Cet embarcadère était autrefois le principal "port" de la ville, quand elle était capitale du royaume lanna.
De l'autre côté de l'impasse dans laquelle nous avons élu domicile, se trouve la bibliothèque Française d'extrême orient. Fidèles à nos habitudes, nous allons nous présenter. Nous y resterons plusieurs heures, plongés dans la lecture d'ouvrages d'art et, surtout, de la traduction de jatakas.
Jour de lecture à Chiang-Mai
Sur une étagère, au milieu d'ouvrages en thaï et en anglais, un jataka traduit en français : « Le Livre de Vesandar ; le roi charitable ». Justement, depuis Nan, nous cherchons à en lire. Les jatakas sont les contes et légendes qui racontent les vies antérieures du Bouddha. Il y en aurait 547 et de nombreuses variantes qui courent dans les pays d'Asie du Sud et du Sud-Est. Celui-ci est le dernier avant que le Bouddha ne devienne Bouddha. Très connu, il est souvent représenté sur les murs des pagodes et des monastères.
Chouette !
Ce dernier jataka raconte l'histoire du roi Vésandar, de neang Metry sa reine, de chau Chuly et de néang Krésna, leurs enfants, et comment le roi Vesandar a conquis la perfection du don. Non seulement il a offert son éléphant blanc et tout ce qu'il possède à qui le lui a demandé mais il a aussi accepté de donner ses enfants.
Ainsi d'abord rejeté par son peuple qui ne supporte pas qu'il distribue de la sorte les richesses du royaume, il s'exile et vit en ascète dans la forêt accompagné de sa famille, puis, bientôt, privé de ses enfants par la convoitise de Chuchok, un vieux brahmane envieux et avare qui les lui a demandés. (Notons qu'il ne dit d'abord rien de ce don à sa femme ...) Il sort grandi de l’épreuve qui le rétablit triomphalement comme roi et lui permettra, dans l’existence suivante, de parvenir à la perfection de l’Éveil comme Bouddha.
C'est un conte poignant et extrêmement vivant. On sourit, on rit parfois de bon cœur (la mère de Vesandar qui obtient malgré l'âge de ne pas perdre ses cheveux ni d'avoir des seins qui pointent vers le bas) et on pleure sur la douleur des parents et le sort des enfants abandonnés et maltraités ... quoique finalement sauvés dans la version cambodgienne.
Mais, deuxième merveille, ce conte a été traduit par Adhémard Leclère, un normand d'Alençon.
Résident français au Cambodge à la fin du XIX siècle nommé par Clémenceau pour promouvoir les intérêts de la France coloniale, il est aussi poète et rédacteur de très nombreux ouvrages sur la langue, les mœurs, le droit, la religion et la culture de ce « protectorat ».
Cet homme si cultivé qui s'exprime à la première personne dans ses notes est d'une présence stupéfiante. Il prend son lecteur par la main et ne le lâche pas. Un délice .
Voici la fin de son introduction au conte :
« Quelques uns... cependant me reprocheront les notes en bas de page qui gênent un peu la lecture superficielle...J'ai cru pouvoir accorder au lecteur bénévole ce qu'il est en droit d'exiger, de la clarté, les artifices typographiques qui y concourent mais j'estime que j'aurais tort de lui céder s'il se plaint qu'on mette à sa portée des éléments dont il croit n'avoir point besoin. Ceux qui croiront pouvoir se passer des notes, les laisseront, liront sans se préoccuper d'elles-c'est facile-, mais ceux qui voudront savoir comment les Cambodgiens ont modifié la légende, interprété le texte primitif, les liront et cela me paiera de les avoir écrit. »
Grand merci à Adhémard Leclère , un vrai « partageux » !
Quelle belle histoire ! Quelle belle langue française !
Quelle belle journée !
Pour en savoir plus sur Adhémard Leclère, ouvrier typographe devenu savant orientaliste et administrateur colonial :
Grégory Mikaelian, Un partageux au Cambodge : biographie d’Adhémard Leclère suivie de l’inventaire du Fonds Adhémard Leclère, Paris, Association Péninsule, Les Cahiers de Péninsule n°12, 2011,
Gallica a publié en ligne des contes et jatakas traduits par Adhémard Leclère en pdf laccessibles ici :
http://aefek.free.fr/pageLibre00010b51.html
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La vieille ville, quadrillée par des rues tristounettes, ne présente aucun caractère de... vieille ville. Des remparts de brique, il ne reste pas grand chose. Seules les douves ont été préservées, et même reconstituées et remises en eau. Dans les rues, quelques shophouses touristiques essaient de conserver une touche historique. Nous trouvons ici beaucoup d'occidentaux, les premiers bars à filles et salons dits de massage, avant goût de Bangkok et des plages du sud. La promenade à pied est donc décevante d'abord mais c'est quand même le meilleur moyen d'aller à la rencontre des principaux centres d'intérêt.
Le Wat Chedi Luang est célèbre pour avoir jadis abrité le Bouddha d'émeraude, qui se trouve maintenant au Wat Phra Khew de Bangkok et dont on ne voit ici qu'une copie. Cette minuscule statue, de moins d'un mètre de haut, a beaucoup voyagé. La légende la fait venir de Chiang Rai ; l'histoire la déplace ensuite à Lampang, puis à Chiang Mai, puis à Luang Pranbang, avant de la transférer à Vientiane, au gré des changements politiques et des guerres perdues ou gagnées par les différents royaumes qui se disputaient l'hégémonie régionale. Depuis la prise de la capitale laotienne par les armées siamoises à la fin du XVIIème siècle, le palladium est revenu en Thaïlande et se trouve actuellement à Bangkok. Ne croyons pas cependant que le chapitre est clos. L'itinéraire controversé de cette statue et ses vicissitudes sont encore aujourd'hui au cœur de polémiques géopolitiques asiatiques.
Mise à part cette histoire, on aime surtout ce temple pour son pur style lanna du XVème, son imposant chedi rebâti par l'Unesco avec des fonds du Japon (qui a beaucoup à se faire pardonner en Thaïlande) ses éléphants et ses nagas, même s'ils sont eux aussi très restaurés...ou plus.
Le Wat Phan Thao allie la douceur du tek qui le structure à la brillance de ses décorations extérieures : nagas incrustés de verre et pierres semi précieuses, signes du zodiaques et symboles astronomiques divers.
Le Wat Phra Singh abrite de superbes fresques illustrant le Vessaranda. La statue du Bouddha est particulièrement vénérée par les fidèles et étudiée par les spécialistes de l'art lanna pour ses traits incroyablement réalistes. De fait, ce Bouddha est très humain.
Un des temples les plus visités et objet de pélerinages est le Wat Phra That Doi Suthep, à l'extérieur de la ville, sur le versant sud d'une montagne boisée. Enfin un peu de montagne ! Depuis la frontière laotienne,nous roulons sur le plat et avons perdu de vue toute espèce de relief. Tiresias est content car il avance à toute allure sur des voies impeccablement goudronnées mais il faut bien avouer que les paysages qui bordent ces superbes routes et autoroutes sont un peu décevants.
Nous n'avons accordé que peu d'intérêt au temple lui-même et davantage goûté l'environnement montagneux et forestier qui l'entoure. Rien d’extraordinaire dans ce parc naturel mais quelques sentiers de promenade et un bon bivouac.
Pai :
Nous voulions du relief ! En voilà.
De Chiang Mai à Pai, la route est dite "aux 762 virages". Nous ne les avons pas comptés, tellement ils sont serrés et s'enchainent sans interruption sur des dizaines de kilomètres, de sorte qu'il vaudrait mieux parler de la route aux deux ou trois lignes droites (jamais plus de 100 mètres cependant).
Nous sommes surpris par la sécheresse qui frappe la région. La forêt est apparemment constituée d'espèces tropicales mais ici nulle exubérance végétale, aucune moiteur. A perte de vue, des arbres déplumés, des plantes qui baissent la tête. De plus, toute perspective est obscurcie par un brouillard permanent qui fait mentir le moindre "point of view". C'est un mélange de brume de chaleur et de fumée. En effet, le mois de mars, fin de la saison sèche, est celui des écobuages, Les restes de feux volontaires sont visibles partout. et la fumée des brûlis stagne au fond des vallées. Il faudra attendre la mousson pour voir reverdir la forêt et retrouver un air plus clair et plus respirable.
Une dizaine de kilomètres avant d'atteindre la ville, en venant de Chiang Mai, la route franchit la Mae Nam Pai par un pont moderne en béton. Juste à côté, se trouve le "memorial bridge", structure de métal et de bois construite par les Japonais pendant la seconde guerre mondiale sur la ligne de chemin de fer Malaisie-Thaïlande, de sinistre mémoire. Détruit par les alliés à la fin de la guerre, reconstruit, puis tombé en désuétude, c'est aujourd'hui un monument historique à parcourir à pied en prenant garde à ne pas enfoncer une des traverses. Un avant goût du pont de la rivière Kwaï.
Le temple Wat Phra That Mae Yen se trouve à l'est de la ville, au somment d'une colline assez élevée. Du temple, il faut encore gravir un escalier de plus de 300 marches pour arriver au pied de la grande statue de Bouddha et profiter pleinement de la vue sur une vallée qui, pour certains, est la plus belle de Thaïlande, mais que nous n'avons qu'entraperçue dans la brume matinale.
Depuis le début de la route au 762 virages, nous sommes entrés dans une région productrice de café,dont les plantations se visitent parfois. Dans les environs de Pai, sur le chemin des cascades de la Nam Tok Pembok, que l'on atteint par une petite piste très étroite, nous dégustons une excellente production locale de pur Arabica et quelques paquets trouvent leur place dans les soutes de Tirésias. Cette vallée, plus étroite et bien irriguée, est plus verdoyante, et pour tout dire, plus "tropicale". Dans les vergers qui la bordent, on trouve des goyaves et des maracujas.
Quelques villages isolés :
De Pai à Mae Hong Son, la route 1095, quoique moins fatigante que dans sa portion précédente, est toujours très sinueuse. et passe par plusieurs petits cols. Les vallées sont toujours aussi bouchées et la végétation semble maladive. On dirait un automne sec. Arrêtés pour déjeuner au milieu d'une forêt, nous voyons les feuilles de tek tomber en pluie. En quelques minutes, le sol en est entièrement couvert. Elles sont très larges, dures au toucher et semblent parfaitement imperméables. Il y en a maintenant davantage par terre que sur les arbres, qui prennent un caractère presque hivernal.
Cette partie nord de la Thaïlande, entre Birmanie, Chine et Laos, est habitée par des minorités très diverses dont les villages plus ou moins accessibles se cachent parfois assez loin des voies carossables. A Soppong, nous quittons la route principale pour deux vallées qui remontent vers la frontière birmane.
La première nous conduit à Mae Lana en passant par Jobo. La route est étroite mais bonne, malgré de multiples montées et descentes aux très forts pourcentages. Même avec le brouillard, le paysage est magnifique et la vue sur les pitons rocheux environnants spectaculaire.. C'est une région de grottes dont les plus célèbres sont Tham Lot et Tham Nam Lang. Nous faisons brièvement étape à Jobo, puis poursuivons jusqu'au bout de la route. Mae Lana est un village Shan situé à quelques kilomètres à peine de la frontière birmane. Une rue principale, un petit pont en ciment qui mène à une mauvaise piste, quelques maisons, un joli temple de style birman, un petit commerce et une grande école. Nous discutons avec un jeune professeur d'anglais originaire du sud qui effectue là ses premiers années d'exercice. En Thaïlande comme ailleurs, les maîtres d'école débutent dans le nord.... Les élèves scolarisés ont entre six et quinze ans. Leurs années de collège terminées, ceux qui veulent et peuvent poursuivre leurs études doivent aller à Mae Hong Song, à près de 100 kilomètres de là.
La deuxième escapade nous mène à Ban Rak Taï, par la vallée de Mae Aw. La route, très montagneuse, traverse plusieurs villages shan et karen et, après la cascade de Pha Sua, passe près de la résidence royale de Pan Tong. L'accès à cette dernière est étonnamment libre. Des chemins goudronnés permettent de circuler en voiture dans un immense parc, entre pelouses impeccables, serres, parterres de fleurs, volières et enclos pour cervidés.
Au bout de la vallée de Mae Aw, on atteint un petit lac réservoir au bord duquel s'étire le village de Ban Rak Taï. Nous sommes à quelques kilomètres à peine de la frontière birmane, dont le poste est fermé aux étrangers mais ouvert aux locaux qui l'empruntent assez régulièrement, pour toutes sortes d'échanges. Ce village et son peuplement sont le résultat d'une histoire particulière. A la fin des années 40, quelques rescapés yunannais de l'armée de Tchang Kai Chek vaincue par les communistes trouvèrent refuge ici et firent souche. Toute la population est donc chinoise. On parle et on mange chinois. On produit ici du café et on cultive même la vigne pour produire un petit vin local.
On peut se promener dans le village, qui s'ouvre progressivement au tourisme, et faire le tour du lac à pied , mais mieux vaut ne pas s'aventurer sur les pistes au delà. Ce n'est pas le triangle d'or mais les rivalités entre les ethnies de cette zone provoquent tout de même de temps à autre des affrontement armés de part et d'autre de la frontière, sur fond de trafic de drogue Dans tous ces villages, nous admirons les toits des maisons et des abris, en feuilles de tek tressées entre des bambous. Le "tectona grandis" ne fournit pas seulement un bois de qualité exceptionnelle. Ses feuilles, énormes et dures, sont totalement imperméables et aussi efficaces que des tuiles ou des ardoises. En outre, le dessin du tressage donne à ces toits une grande beauté. L'art de la "tektonique", à tous les sens du terme !
Mae Hong Song et ses environs :
En redescendant, nous parvenons à Mae Hong Son par le nord et trouvons une ville que tous les guides décrivent comme un point d'arrivée depuis le sud. C'est aussi le point de départ vers des treks de montagne et les vallées que nous venons de parcourir. Le centre de la ville est occupé par un bassin, le Nom Jong Kuam. Nous y assistons à un festival de musique et de danses folkloriques dont nous recueillons les derniers flonflons et y trouvons un bivouac près des temples Wat Jong Kham et Wat Jong Klang. La nuit, tous deux se reflètent dans le lac et constituent, paraît-il, un sujet de choix pour les photographes. C'est effectivement magnifique. Malheureusement, nous ne sommes pas photographes !
Au sommet d'une colline proche, on atteint le temple Wat Phra That Doi Kong Mu. Comme ailleurs, tout est voilé, mais, est-ce précisément l'effet de l'habitude ? Nous commençons à trouver du charme à ces nappes de brouillard qui s'effilochent le long des vallées.
Les "femmes girafes" :
Dans les environs de Mae Hong Son, devions-nous, ou non,aller visiter un des villages de "femmes girafes", ainsi nommées à cause des colliers qu'elles empilent au cours de leur vie et qui finissent par étirer leurs cervicales et allonger leur cou ? Les "long neck" (appellation locale) font partie de l'ethnie karen, dont beaucoup de membres ont fui la Birmanie à la suite d'affrontements avec l'armée à la fin du XXème siècle. Depuis cette date, ils connaissent le sort peu enviable de beaucoup de réfugiés, sans passeport, cantonnés dans des enclaves contrôlées par des militaires, sans possibilité de voyager ni de travailler, encore moins de s'insérer. Mais leurs villages se visitent. Nous hésitons, de crainte de nous trouver dans un zoo humain dont nous n'avons nulle envie de cautionner les pratiques.
En cherchant, nous trouvons un lieu qui nous semble à l'abri d'une exploitation commerciale et que nous pourrions peut-être atteindre seuls. Malheureusement, la piste qui y conduit devient vite impraticable et nous devons nous arrêter à quelques kilomètres du but. Un jeune volontaire français rencontré sur place nous dissuade définitivement de continuer. Il n'y a plus de "femmes girafes" à Kayan Tayar car elles ont toutes trouvé asile récemment en Australie.Tant mieux.
Notre interlocuteur nous conseille de nous rendre à Huai Sueua Tha. C'est un autre camp de réfugiés karens mais les habitants gèrent eux-même l'accès à leur village et les produits d'artisanat vendus sur place leur reviennent. Il est recommandé d'acheter quelque chose car ils ne vivent que de cela, le billet d'entrée étant perçu par le gouvernement thaïlandais.
De fait, ce village est coupé en deux et les "femmes girafes" sont cantonnées dans une rue, chacune tenant une petite boutique de souvenirs. Nous sommes cependant agréablement surpris. Plusieurs d'entre elles parlent un très bon anglais, appris auprès des ONG qui interviennent sur place. Nous discutons un peu plus longuement avec K.., qui nous parle librement de ses conditions de vie. Les réfugiés, homme ou femme, girafe ou pas, sortent rarement du village. Un simple aller-retour à Bangkok implique des démarches administratives compliquées. Trouver un travail, un mari, une vie au dehors semble dès lors inaccessible. Mais K... sourit, elle plaisante. Son cou n'est pas du tout difforme et les colliers qu'elle porte, à deux ou trois rangs seulement, genre, ne l'enlaidissent pas, bien au contraire. Elle est jolie, simple, intelligente. C'est une personne qu'on aimerait connaître.
Derniers jours dans le nord :
Nous prenons la route de Mae Sot, principale porte d'entrée en Birmanie. Au départ de Vientiane, nous espérions parcourir le nord de la Thaïlande assez rapidement pour y retrouver des compagnons de voyage rencontrés en saison 2. : Pierrette et Denis, dans leur 4x4, Yolanda et Sergi dans leur Mercedes Sprinter gris et Laura et Yves dans leur Mercedes bleu. Avec les deux premiers couples, nous avons traversé le Tibet ; avec Yves et laura, nous avons voyagé au Kirghizstan et partagé quelques galères mécaniques. Nous aurions eu grand plaisir à les retrouver tous mais nous arriverons trop tard. Leur groupe est déjà parti pour la Birmanie.
Du coup, nous décidons de laissons tomber Mae Sot et de nous diriger directement vers les sites historiques du centre : Kamphaeng Phet, Lopburi, Sukhotai et Ayuthaya.
En chemin, nous faisons halte à Khum Yam. Ce gros village-rue sans grand intérêt abrite un monument dédié à l'amitié thaïlando-japonaise. Pourquoi un tel mémorial ici ? Sans doute parce que dans les dernières années de la guerre plusieurs milliers de soldats de l'armée nipponne en retraite moururent dans les camps des environs ; peut-être aussi parce que certains des survivants demeurèrent sur place et finirent par s'intégrer totalement à la population locale. Le dernier vétéran serait mort récemment.
Dans les environs, un temple de style birman, pas facile à trouver, mérite le détour. C'est le Wat To Phae , où nous sommes accueillis par un moine hilare et particulièrement chaleureux. Le sanctuaire principal abrite une rare tapisserie représentant une scène du Vessaranda.
Nous prenons alors la route vers l'est, sans nous arrêter à Mae Sariang, en direction de Hot et de Tak. La route traverse maintenant des forêts très différentes de celles que nous avons vues plus au nord, plus aérées, moins tropicales. Les arbres y sont plus vigoureux. Parmi eux, des cèdres, des tecks et même des pins. C'est d'ailleurs dans la pinède protégée d'un centre de sylviculture que nous demandons et obtenons le droit de passer la nuit. Un bivouac de rêve dans la région de Bo Khaeo, avec des gardiens aux petits soins qui nous donnent en plus l'accès à l'eau et l’électricité.
Après le parc national Op Luang, nous voici revenus tout près de Chiang Mai, après une longue boucle de 500 kilomètres. Nous n'y retournons pas. Depuis Hot, la petite route 1103 rejoint Doi Tao, et atteint la nationale 1 à Thoen, d'où l'on descend vers Tak et Kamphaeng Phet. Très vite, nous retrouvons la sécheresse. En passant près de Doi Tao, nous nous rapprochons du réservoir de Mae Tup, croyant y trouver un joli cadre pour déjeuner. Las ! Le lac est complètement à sec et traversé par une piste poussiéreuse. C'est un spectacle de désolation. Une dizaine de stands délabrés proposent des sucreries et du poisson séché. Queques jeunes désoeuvrés sont attroupés, assis sur la selle de leur mobylette. Tout respire l'ennui. Vivement la saison des pluies !
Notre périple du nord-ouest s'achève. Pour l'essentiel, nous aurons vu des paysages de montagne et traversé des forêts, dans une végétation très sèche. Le plus beau souvenir restera la découverte des temples de styles lanna et birman et la sérénité qui règne dans leurs murs. Les fidèles viennent prier sans ostentation, déposer des offrandes. Parfois, ils demandent un entretien avec un moine. Les hommes et les femmes ne sont pas séparés et on voit fréquemment des couples agenouillés côte à côte. Il n' y a pas d'office, chacun vient, semble-t-il, quand il peut ou quand il en éprouve le besoin, pour méditer, formuler un vœu ou faire un don, peut-etre aussi pour gagner des mérites en vue d'une meilleure réincarnation.
Il y a cependant des interdits à respecter. Si les non bouddhistes sont admis, ils doivent adopter une tenue correcte et veiller à s'asseoir et, si possible, s’agenouiller, sans jamais pointer les orteils vers le Bouddha. Les femmes ne doivent théoriquement pas parler aux moines, ni les regarder et surtout ne pas les toucher. A ces conditions, on est toujours accepté et souvent chaleureusement accueilli.
Partons maintenant à la découverte de temples plus anciens, dans les villes et capitales historiques de Kamphaeng Phet, Sukhothai, Lopburi et Ayuthaya.