Périégèses

(tours de mondes) Saison 2

Où sommes-nous ? Contact Retour à la page d'accueil
Menu accordéon en images
Tout le boc-notes de la saison 2 est accessible par mots clés.
On peut trier les notes par pays, région ou lieu.
NB : Un lieu peut être un site naturel, une ville, un quartier, un musée, un bar...

Périégèses : Saison 2 - épisode 7 : Du Xinjiang au Yunan par le Tibet
(De Kashgar à Shangri La en passant le Mont Kailask, l'Everest et Lhassa)
NB : Pour lire la partie consacrée uniquement au Xinjiang, cliquez ici.

Catégorie voyage De Torugart à Kashgar

(Billet du 1er octobbre 2015) :

De Torugart à Kashgar

Pour traverser la Chine en "self driving", il faut, au moins pour les deux provinces sensibles du Xinjiang et du Tibet, passer par l'intermédiaire d'une agence chinoise qui s'occupe de fournir aux impétrants programme, invitation officielle, guide et documents administratifs nécessaires.
Afin de réduire les frais (importants), il convient donc de constituer un groupe, ce que nous avons fait, par Internet, avant notre départ de France en avril. Nous avons choisi l'agence Greatway.
Notre départ, initialement prévu le 28 septembre, a été retardé d'un jour en raison de festivités interdisant momentanément l'accès à Kashgar. Le créneau de passage est étroit car, le 1er octobre, débute la semaine d'or, période traditionnelle des congés annuels, pendant laquelle les Chinois prennent leurs vacances et où les administrations fonctionnent au ralenti.
La frontière entre le Kirghizstan et la Chine est située au sommet du col de Torugart, à 3700 mètres.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Au matin, le thermomètre affiche -11° quand nous passons le poste kirghize, assez rapidement. Encore une petite grimpette et, après les derniers lacets, s'amorce la descente vers la province du Xinjiang.
Pendant une bonne demi-heure, le premier check-point chinois se présente sous la forme d'une grille obstinément close mais quand, une heure plus tard, les portes s'ouvrent, aussi inexplicablement qu'elles étaient restées fermées, nous les franchissons sans aucun contrôle et faisons la connaissance du premier guide que nous a attribué l'agence. Par "guide" il faut entendre "accompagnateur". Imposé par les autorités , il n'est pas là pour nous apporter des explications historiques ou culturelles mais pour nous piloter, faciliter nos démarches administratives et nous aider à trouver des hébergements et des bivouacs autorisés. Le nôtre est Ouïgour et s'attachera à nous le faire savoir, n’hésitant jamais à reprendre ceux qui commettraient la maladresse de confondre ses yeux non bridés et ses traits - plutôt caucasiens que mongols, d'ailleurs- avec la face asiatique d'un Han.
Après la barrière de Torugart, commence un no man's land de 100 kilomètres. Surprise : la route, entièrement refaite par les Chinois sur le versant kirghize, devient très mauvaise de leur propre côté. Comprenne qui pourra.
Au bout d'une très longue descente, on parvient au véritable poste frontière où s'effectuent les formalités complètes de douane et de police... et le paiement de quelques taxes inattendues.
On remplit un questionnaire en aveugle, on ronchonne. La routine, après bientôt six mois de route et le passage de tant de frontières. Mais nous ne sommes plus seuls ; nous serons désormais accompagnés par d'autres voix récriminatrices.
Et puisque la barrière s'ouvre, passons outre.

Pays en cours Pays en cours
Arrivée à Kashgar

Est-ce enfin la Chine ?
Oui, puisqu'il faut tout à coup avancer sa montre de deux heures. C'est un peu brutal, mais toutes les provinces du pays sont officiellement à l'heure de Pékin, à 4000 kms à l'est.
Dans les faits, cette règle ne s'applique que partiellement, et tout le monde utilise couramment une heure locale, ce qui n'ira pas sans quelques malentendus.
Non car, si Xinjiang signifie en Chinois "nouvelle frontière", pour les autochtones, turcophones et musulmans, il s'agit du Turkestan oriental ; le pays connaît d'ailleurs de fortes velléités indépendantistes, qui se manifestent parfois sous la forme de sanglantes attaques terroristes.
Il n'empêche. Si les paysages sont encore un peu ceux du Kirghizstan, le contraste avec l'Asie centrale saute aux yeux. Finis les "stan" et place à l'Asie tout court. Les villages sont plus peuplés, les campagnes plus cultivées, et, signe qui ne trompe pas, les moins-de-quatre-roues sont maintenant légion. Motocyclettes, scooters électriques, triporteurs s'avancent face à Tirésias en cohortes compactes. Les feux tricolores règlent la circulation, les radars et les caméras surveillent, et les quelques yourtes qui subsistent ne sont plus que des vestiges folkloriques ou des transpositions en dur.
En soirée (mais il fait encore grand jour !) nous entrons dans Kashgar en convoi serré et tous les véhicules trouvent une place sur un parking d'hôtel. Un apéro collectif permet aux différents participants de faire connaissance. C'est l'occasion de présenter le casting complet de l'épisode 5 de la saison 2 :

1. Les fourgonistes :
- Yolanda et Sergi, catalans de Barcelone, partis pour un tour du monde au volant d'un Mercedes Sprinter.
Leur site web : www.rodarpelmon.com
- Nous deux, avec notre notre Tirésias, qui, réparé au Kazakhstan, tourne comme une horloge et grimpe allègrement les cols.

2. Les 4x4istes :
- Anthony et Céline, que nous connaissons bien depuis Bishkek, et qui ont partagé nos galères de demandes de visas chinois, sont partis de France depuis dix-huit mois et font du bénévolat pour la protection des espèces menacées. Ils nous ont aidés à plusieurs reprises pour les diverses réparations à faire sur Tirésias. Ils sont en route pour un tour du monde à durée indéterminée.
Leur blog : www.around-the-rock.com
- Denis et Pierrette, que nous avions rencontrés à Rodez avant notre départ et avec qui nous nous sommes inscrits en premier pour ce périple, sont de vieux baroudeurs, grands spécialistes du 4x4. Ils se dirigent vers le Laos, la Thaïlande, la Birmanie et l'Inde avec retour prévu en France par Oman, Iran et Turquie.
Leur blog : robinland.uniterre.com
Denis et Anthony sont deux bons mécanos. Cela pourra servir...
- Charlotte et Xavier, Français expatriés en Australie, effectuent un voyage sabbatique en Asie et en Amérique du Sud. Ils conduisent un fourgon Renault jaune 4x4, ex camion-ambulance militaire très haut sur pattes. Un point de repère appréciable dans le trafic de Kashgar...
Leur blog : https://chachaxavieraroundtheworld.wordpress.com/
- Raymond et Lucie, alertes septuagénaires suisses, ont déjà parcouru le monde entier. Ils ont tout vu et tout connu et aiment avant tout rouler. Ils conduisent un 4x4 de type urbain. Particularité : Toujours à l'avant garde et jamais fatigués, ils ont à peine le temps de s'arrêter pour pique-niquer ou dormir.

3.Les motos :
Damien, Lucas, Annya et Macief, quatre motards polonais qui vivent aux Pays Bas, en Norvège et en Californie, se sont inscrits au tout dernier moment. Ils sont partis pour un long voyage vers l'Asie du sud-est
Leurs pages :
Comme Raymond et Lucie, ils doivent trouver un hébergement quotidien, ce qui conditionnera sans doute un peu la vie du groupe.

Séjour à Kashgar

Ce premier jour au Xinjiang a été entièrement consacré aux formalités d'entrée des véhicules.
Tous les voyageurs en "sef driving" doivent obtenir une plaque d'immatriculation et un permis de conduire provisoires, et se présenter au contrôle technique. Nous voici donc à 8 heures du matin sur un parking de banlieue au milieu de centaines de voitures attendant leur tour.
Commence alors une attente d'un ennui mortel, qui durera jusqu'au soir.
Encore sommes-nous privilégiés, car notre guide s'efforce d'accélérer les choses et nous fait passer en priorité, devant les automobilistes locaux.
Pas rancuniers, et curieux de voir nos engins de plus près, ceux-ci viennent à notre rencontre. Dans les bribes de dialogue engagées par logiciel de traduction interposé, nous comprenons qu'ils patientent là depuis plusieurs jours. Parfois, expliquent-ils, cela peut durer plus d'une semaine, car, dans cette ville de 500.000 habitants, il n'existe qu'un seul centre. Tous prennent donc sur leur temps libre pour effectuer cette corvée, et, comme la semaine d'or commence demain, l'affluence est encore plus importante.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


A cause de cette journée perdue, il ne nous reste qu' une matinée pour visiter la ville, qui aurait mérité qu'on y reste un peu plus longtemps.
Située sur le versant est des Monts Célestes, l'oasis de Kashgar était une des dernières étapes des caravanes, avant le point d'arrivée de Xian. Elle se situe à la croisée de plusieurs itinéraires.
La silk road traverse le désert du Taklamakan d'est en ouest ; vers le nord-est, la route remonte vers Urumshi et la Mongolie ; vers le sud-ouest, la mythique "Karakoroum way" file vers les Indes via le col de Khunjerab, tandis qu'au sud-est, une autre grimpe vers le plateau tibétain. C'est cette dernière, la G 219, que nous allons suivre pendant le mois qui vient.
Depuis les invasions turco-mongoles, le Xinjiang est musulman, mais, au début de notre ère, la rencontre de l'hellénisme et du bouddhisme avait produit ici un art original : celui de la Serinde, dont il ne subsiste malheureusement que peu de vestiges. Pour en voir davantage, il faudrait pousser plus à l'est, vers Kucha et Urumchi, et ce n'est pas notre route cette année.

La mosquée Id Kah est la plus grande de Chine. Édifiée au XV° siècle, elle se présente sous la forme d'un vaste jardin, fermé par le bâtiment dédié à la prière. Très largement ouvert sur toute la largeur de la cour, celui-ci est soutenu par une longue série de piliers de bois de couleur verte. L'accès des "infidèles" est autorisé, moyennant un droit d'entrée symbolique. Peu de monde à l'intérieur. L'atmosphère est paisible et sereine.
A l'extérieur, par contre, la présence chinoise est pesante et on ne sait ce qui le plus gênant, de ces foules de touristes han, qui se font massivement et bruyamment photographier devant la mosquée ou de ces policiers anti émeutes postés, bien visibles et lourdement armés, sur les côtés de l'esplanade.

Plus loin, sur la très vaste place du peuple, trône une grande statue de Mao. Un écran géant diffuse des images de propagande. On y voit les bienfaits de la modernisation-reconstruction de la ville, on rappelle les secours apportés aux populations lors des dernières catastrophes naturelles etc.
A l'opposé de l'écran, les dates 1955-2015 évoquent le 60ème anniversaire de la "grande modernisation du Xinjiang". Cette année-là vit en effet des milliers de volontaires, guidés par la pensée du grand timonier, se lancer dans des travaux d'irrigation et d'urbanisation du désert qui modifièrent profondément les villes et les campagnes ouïgours. Ce développement marquait aussi le début d'une sinisation qui se poursuit et s'accélère, au bénéfice matériel de la population, mais au détriment de sa culture et de son identité. Du reste, l'aspect de Kashgar est aujourd'hui avant tout celui d'une ville chinoise, avec ses larges avenues, ses quartiers modernes et ses flots de scooters électriques.
Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Dans la "old city", la partie conservée (ou plutôt reconstituée, après démolition et reconstruction à l'identique), est largement folklorisée et vouée au commerce touristique.
Il reste, derrière la place du peuple, quelques quartiers plus "authentiques" dans lesquels nous prenons plaisir à faire quelques emplettes et à flâner entre les échoppes d'artisans et les petits commerces, mais les bulldozers ne sont pas très loin.
D'ailleurs, dépêchons-nous, car le groupe nous attend pour partir au Tibet.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Michel

Catégorie voyage De Yecheng à Domar : arrivée au Tibet

(Billet du 4 octobre 2015) :

De Kachgar à Yecheng (Karghilik)

Nous quittons Kashgar en début d'après-midi avec notre nouveau guide, un Tibétain prénommé Dhargye.
La première étape nous conduit à Karghilik, ville de garnison de peu d'intérêt. Pour l'atteindre, nous traversons la partie sud-ouest du Taklamakan. Ce désert, dernière difficulté sur la route de la soie, a la particularité d'être situé le plus loin possible de tout océan, le PEI (Point Extrème d'Inaccessibilité) étant situé peu au nord d'Urumqi.
Nous filons plein sud, sur la G 219. La route est très bonne mais une brume de sable réduit fortement la visibilité. On devine le ciel bleu, pas très loin au dessus de nos têtes ; il nous faudra attendre les premiers cols pour le retrouver. Dunes de sables, falaises : le paysage et le relief méritent quelques arrêts photos. La faune est, paraît-il, très variée, comme nous le diront à l'arrivée, Anthony et Céline, experts en découvertes animalières. Les ignares que nous sommes se contentent de chameaux (à deux bosses, tout de même !) que nous ne pouvions pas manquer et qui viennent prendre des poses orgueilleuses devant nos objectifs.

Pays en cours Pays en cours


A l'étape, tous les véhicules sont garés sur le parking d'un hôtel plutôt moche dans un faubourg triste.
Où est la ville ?
Les questions pleuvent sur Dhargye :
"- Pourquoi ne pas chercher un hébergement plus près du centre ?
- Parce que peu d'hôtels sont autorisés aux étrangers.
- Mais nous ne sommes pas vraiment à l'hôtel, seulement sur un parking.
- Oui, mais c'est le parking de l'hôtel.
- Alors pourquoi ne pas chercher un bivouac libre, à la campagne ou sur un parking plus central ?
- Parce que nous devons rester groupés et que le guide ainsi que plusieurs participants, ne pouvant dormir dans leurs véhicules, doivent prendre une chambre tous les soirs."
Il faudra nous y faire. Pendant plus d'un mois, jusqu'à notre sortie du Tibet, nous bivouaquerons sur des parkings d'hôtel.

De Karghilik à Mazar :

Le départ est prévu à 9 heures. La veille, Dhargye a pris tous nos passeports pour effectuer les formalités d'entrée au Tibet au poste de police local. Il est en retard. En l'attendant, on tue le temps comme on peut. Les mécanos s'activent sur leurs véhicules, d'autres font du rangement, Lucile et Céline dansent sur le parking, mais la matinée se passe et Dhargye ne revient pas.
Sans trop oser le dire, depuis le départ du Kirghizstan, quelques-uns d'entre nous partagent une petite crainte.
Yecheng se trouve au carrefour de deux nationales. Aurons-nous bien l'autorisation de prendre la G 219, prévue dans le programme ? Cette route, certes moins mythique que celle du Karakorum pakistanais, mais d'une altitude moyenne plus élevée, a été construite dans les années cinquante. Longtemps réputée dangereuse, elle est désormais presque entièrement asphaltée et accessible à des véhicules ordinaires. C'est l'occasion pour nous de faire un parcours original et de traverser les paysages peu connus de l'Ouest tibétain.
Mais ne risquons-nous pas d'être déroutés très à l'est pour prendre la route G 315, plus longue et moins exaltante, comme cela est déjà arrivé à d'autres voyageurs, en raison d'une subite décision administrative ou politique, de la situation du moment au Tibet, de possibles tensions internationales etc.
Plus le temps passe, plus l'inquiétude monte.
Peu avant midi, notre guide revient enfin et nous rassure. S'il a tant tardé, c'est que tous les services étaient fermés à cause des congés de la semaine d'or.
Mais il su a su y faire, tout est en règle et nous pouvons partir.
En route ! La G 219, nous allons la suivre pendant un sacré bout de temps !


La panne

Gonflés d'allégresse, nous roulons, plein gaz, sur ce qui reste de désert. Nous avons hâte d'en sortir, de gagner les montagnes et de sortir de ce brouillard sableux qui nous bouche l'horizon.
Nous rencontrons nos premiers check-points. La route commence à monter. Bientôt le ciel bleu. Nous passons un premier col, le Kudi Daban , à 3240 mètres.



Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Et voilà que, de l'autre côté de la passe, un léger grésillement se fait entendre sous le capot.
- C'est bizarre !
Puis le bruit se fait plus fort.
- Merde, on dirait... on ne va quand même pas...
Et si ! Tout à coup, le voyant fatidique, éteint depuis Almaty, se rallume, avec son alarme significative, et le moteur se met en sécurité. Nous venons de reproduire la panne que nous avions connue au Tadjikistan.
Cette fois-ci, nous savons d'où elle provient. Mais saurons-nous pour autant y remédier ?
Anthony et Denis se portent à notre secours. Si nous pouvons rouler, nous essaierons de réparer à Mazar.
En attendant, il faut continuer.
Il nous reste le col de Chiragsali.
Nous le franchissons au ralenti, mais sans problème, et redescendons sur Mazar.

Mazar (ou Mazha) (3700 m)

Il n'y a rien à Mazar. C'est un point sur la carte, mais ce n'est même pas un village. On y trouve juste quelques baraques en bord de route, dont l'une sert de guesthouse. Cette pauvre cabane ne comporte qu'une petite chambre, dans laquelle devront se serrer les quatre motards et le couple suisse. On peut néanmoins y faire une toilette sommaire, y manger chaud et y boire du thé.
C'est la seule halte entre Yecheng et Dongliutan, 350 kms plus loin. Au sud-ouest, le Karakorum pakistanais n'est pas loin, derrière le mythique K2, tout proche, mais que nous voyons pas. Les fourgons et les 4x4 se garent un peu en contrebas de la route, dans une sorte de terrain vague, non loin d'un camp militaire qui doit marquer le début de la zone frontalière.
Anthony et Denis revêtent leur salopette de mécano et se penchent sur le moteur de Tirésias. Malheureusement, je comprends vite que, malgré toute leur science et leur bonne volonté, nos deux as de la mécanique ne pourront rien faire pour nous. Le moteur du Fiat Ducato est si compact qu'on ne voit même pas le turbo. Nous avons beau nous contorsionner, placer un miroir pour essayer d'apercevoir ou de palper les parties de son anatomie qu'il dissimule pudiquement, rien n'y fait. Il est probable que la pièce posée par Stas à Almaty n'a pas tenu, mais pour colmater à nouveau la fuite, il faudrait démonter l'EGR et peut-être davantage. Pas question de se lancer dans ce type de réparation hasardeuse sans outillage approprié et à des centaines de kilomètres de tout garage - et même de remorquage- équipé.
Nous ne pouvons pas faire demi-tour et n'avons d'autre choix que de continuer, en espérant trouver un atelier correctement équipé, probablement pas avant Lhassa. D'ici là, nous devrons avaler des dizaines de cols, dont une douzaine à plus de 5000 mètres, sur plus de 3000 kilomètres. Denis nous rassure. Si Tirésias garde suffisamment de puissance pour les franchir, comme nous l'avons fait pour le Chiragsali, le moteur tiendra et nous pourrons rouler sans l'abimer.
Nous serons fixés dès demain, avec plusieurs passes à plus de 5000 mètres.
Décision est prise de continuer. Mais est-ce vraiment une décision ? Avions-nous une autre solution ?

Pays en cours Pays en cours


Hongliutan (Dongliutan) (4200 mètres)

De Mazar à Dongliutan, on parcourt 300 kilomètres. La G 219 tire maintenant résolument vers l'est. Elle est toujours excellente et traverse des immensités complètement désolées. Pas âme qui vive, pas un troupeau, pas un lopin de terre cultivable et, bien sûr, aucun village.
Pour tester le comportement de Tirésias, nous voilà servis. Le premier col, comme un clin d’œil à l'épisode 4, s'appelle le Kirgizjangal, à 4930 mètres.
On redescend alors de plus de 1000 mètres. pour remonter, via le col de Koshbel, jusqu’à 4200 mètres.
Et nous voici sur le plateau tibétain, même si la frontière officielle se situe plus loin. Nous longeons le cours d'une rivière. A la couleur turquoise des eaux, répond celle du rail de sécurité. Est-ce intentionnel ? En tous cas, c'est remarquable.
Notre bivouac est à Hongliutan, dont les habitations s'étirent sur environ 200 mètres le long de la route. C'est un tout petit peu plus grand que Mazar, avec une centaine d'habitants, qui vivotent d'activités liées au transit des rares véhicules : deux ou trois boutiques d'alimentation, une ou deux guesthouses, une station service.
Comme à Mazar, les motards et les Suisses prennent des chambres, tandis que les fourgons, après négociation du prix du parking, s'installent derrière le bâtiment. Décidément, pour les bivouacs de rêve, c'est mal parti.
Le soir, tout le monde se retrouve dans la salle de "restaurant" pour une soirée sympathique et les premières vraies photos de groupe.


Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


De retour au camion, difficile de trouver le sommeil. De l'avis général, la cote 4000 constitue un premier palier à partir duquel le mal des montagnes peut se faire sentir. Pour moi, il se traduit par un mal de tête, léger mais permanent, et une grande difficulté à m'endormir.
Il faudra surveiller la venue de symptômes plus inquiétants, tels que nausée, et surtout petite toux annonciatrice de l'effrayant œdème pulmonaire.
En cas de MAM (mal aigu des montagnes), la prescription médicale consiste à prendre un traitement approprié, le Diamox, mais si la crise est sévère, il n'est d'autre solution que de redescendre ne serait-ce que de 500 mètres. Tout cela est bien beau, mais comment fait-on pour redescendre quand on est sur le plateau tibétain, dont l'altitude moyenne est toujours au dessus de 4000 mètres ?
Au lieu de gamberger, mieux vaut employer utilement son temps d'insomnie. J'étudie sur Open Street Map le relief de la journée du lendemain. C'est probablement l'étape la plus difficile, avec plusieurs cols à 5000 mètres et, surtout, le Jieshan Daban, le plus haut de tout le voyage, à plus de 5300 mètres, bien plus haut que le Mont Blanc, et même plus haut que le camp de base de l'Everest. Comment Tirésias va-t-il se comporter ? Je me rassure en me disant que nous sommes déjà à plus de 4000 et que le dénivelé n'est finalement pas si important que cela.
Cela devrait bien se passer... s'il ne neige pas.

Arrivée au Tibet : "Tashi delek !"

Il a neigé, bien sûr. Oh! pas beaucoup, mais assez pour nous inquiéter, et prolonger ce sentiment de poisse.
Jusque là, la journée s'était pourtant bien passée. Plusieurs cols franchis à peine moins vite que le Mercedes Sprinter de Yolanda et Sergi et le Franz de Charlotte et Xavier.
Nous avons adopté un mode de conduite peu orthodoxe mais qui nous permet d'avancer en nous efforçant de ne pas dépasser les 2000 tours au compteur. Si nous outrepassons ce droit que nous accorde la technologie de Fiat, le moteur se met en sécurité et on n'avance plus qu'au ralenti. Il faut alors couper le contact et redémarrer.
Sur le plat et en descente, même en sous-régime, cette technique nous permet d'atteindre une vitesse raisonnable et, même, parfois, de rattraper et dépasser nos compagnons de voyage. En montée, c'est une autre histoire et, quand le dénivelé devient trop important, nous ne dépassons pas les 5 kms/h.
Dans les premiers cols, à 5150 et 5180 mètres, nous nous débrouillons assez bien.
Nous atteignons la passe qui marque le point d'entrée officiel au Tibet, dans le xian de Rutog. Notre guide a prévu une petite cérémonie. A chacun de nous, il remet une écharpe blanche.
Il s'agit du Katagh, étoffe traditionnelle de soie ou de coton dont la signification peut être profane ou religieuse, selon les circonstances.
Aujourd'hui, c'est pour nous souhaiter la bienvenue dans son pays que Dhargye la place autour de notre cou, sans affectation, mais non sans solennité. Nous sommes loin du folklore de la remise d'un collier de fleurs tahitien ou d'une ambiance de type "Club Méd". Nous entrons au Tibet et, même si l'atmosphère est joyeuse et détendue, l'importance de ce geste identitaire n'échappe à personne.
Chaque membre du groupe conservera pieusement son étole pendant tout le parcours, et même au delà. Certain(e)s la garderont sur eux, d'autres la placeront en évidence sur le pare-brise, et les plus prudents, discrètement, dans l'habitacle.



Pays en cours Pays en cours Pays en cours


La zone contestée de l'Aksai Chin

Maintenant que nous sommes au Tibet, les check-points, policiers et militaires, déjà nombreux depuis Yecheng, vont se faire de plus en plus pesants. Dès la descente du col, nous rencontrons celui qui marque l'entrée d'une région très particulière.
La G 219 traverse ici, sur un peu plus de 100 kilomètres, une partie du Cachemire qui est revendiquée à la fois par l'Inde et la Chine. Si, pour Pékin, c'est l'Aksai Chin, pour les Indiens, c'est la partie la plus orientale et septentrionale du Ladakh. Pendant des siècles, ce territoire semi-désertique, à peine parcouru en été par quelques nomades, était un des plus isolés et inhospitaliers du monde, au point que - chose incroyable à notre époque où rien n'échappe à l’œil des satellites - le gouvernement indien ne s'aperçut de rien pendant toute la durée des travaux de construction de la route et ne découvrit le pot aux roses que quand la presse chinoise annonça triomphalement son inauguration en 1957. S'ensuivit une période de tension diplomatique et d’escalade verbale qui déboucha, en 1962, sur un conflit armé. Depuis cette guerre sans vainqueur ni vaincu, un statu quo semble s'être installé. La région, quoique toujours revendiquée par l'Inde, reste administrée par la Chine qui l'a déclarée zone naturelle. C'est cet espace frontalier, que les traités internationaux ne situent ni au Tibet, ni en Chine, que nous devons maintenant traverser.
Au poste militaire, nous recevons des consignes très précises : une "speed limite" inversée, c'est à dire une durée maximum d'une heure trente pour traverser la zone, interdiction de prendre des photos et même de s'arrêter.
Pas le moment de tomber en panne, Tirésias !
Tout se passe bien.
La route est en parfait état et le relief peu accidenté. Passé le petit col de Jitai Daban, à 5100 mètres, nous roulons sur un très haut plateau sans rencontrer aucun véhicule, pas même un camion de l'armée.
A l'autre extrémité de l'Aksai Chin, un autre check-point vérifie à nouveau tous nos passeports, permis de conduire et plaques d'immatriculation. C'est Dhargye qui s'occupe de tout. Nous avons maintenant l'habitude de nous en remettre à lui. Il rassemble tous les documents nécessaires et ne nous appelle que si nous devons parfois nous présenter physiquement devant l'officier de service.

Le col du Jieshan Daban et l'arrivée à Domar

Avant d'arriver à Domar, il ne reste plus que le fameux Jieshan Daban, annoncé comme le plus "terrible" de tous les cols de l'ouest tibétain.

Nous avons bien cru ne pas parvenir au sommet. Dans les derniers lacets, au problème EGR-Turbo s'ajoute le manque d'oxygène. Tirésias n'avance plus que par soubresauts et je m'attends à caler à tout moment. Il n'y a rien d'autre à faire que croiser les doigts et regarder les chiffres qui montent, trop lentement, sur l'altimètre: 5200, 5250, 5300, 5350....
Pour corser un peu le jeu, il se met à neiger. Les quelques flocons des premières minutes deviennent de plus en plus épais, effaçant les traces de ceux qui nous ont précédés.
Au sommet à 5380 mètres, nous prenons une photo rapide et nous remontons vite dans le fourgon. Ça caille vraiment ! Nous redescendons de près de 1000 mètres vers le plateau. Très vite, la neige cesse de tomber, le moteur retrouve du souffle.


Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Domar est un poste militaire et un relais routier, à peine plus important que Mazar et guère plus engageant que Hongliutan. Nous sommes encore à 4400 mètres, mais nous avons l'impression d'arriver dans la plaine !
Nos compagnons nous attendent au bivouac, il s'agit, comme d'habitude, de la cour de la guesthouse.
En principe, le plus dur est fait et nous sommes enfin sur le plateau tibétain. Si le Jieshan Daban n'a pas été son chant du cygne et l'Aksaï Chin son champ du signe indien, nous allons peut-être arriver à sortir Tirésias de Chine. C'est notre première nuit à 4400 mètres et il fait très froid.
Alors réchauffons nous autour du poêle et de quelques verres.s.

Catégorie voyage De Domar au Mont Kailash

(Billet du 8 octobre 2015) :


De Domar à Shiquanhe (Ali)

Après avoir quitté Domar, nous traversons tout le xian de Rutog pour entrer dans la province de Ngari sans nous arrêter ailleurs qu'aux check points (nombreux) et aux sommets des cols, dont le Domar La et et Lame La.
Chaque passe est marquée par des drapeaux de prières, que nous avons toujours plaisir à retrouver.
Ces bannières sont une tradition principalement tibétaine, contrairement aux moulins, que l'on trouve aussi dans beaucoup d'autres pays bouddhistes.
Ils sont placés près des temples ou des monastères, au sommet d'un mont ou en tout autre endroit dont on souhaite marquer le caractère sacré. Mais c'est en haut des cols qu'ils sont les plus visibles, accompagnés en général d'une borne ou d'un panneau indiquant l'altitude atteinte. Ils sont constitués d'une enfilade de petits carrés de tissus attachés à une corde, elle même fixée à ses deux extrémités à un poteau, un rocher ou tout autre point d'ancrage.
Chaque petit carré de tissu comporte porte un symbole et des prières.
Il y a toujours plusieurs de ces rubans, qui s'enchevêtrent et s'entassent, dans un ensemble souvent assez brouillon. Peu importe l'esthétique. L'essentiel est qu'ils flottent au vent, qui se charge d'apporter les vœux des fidèles aux quatre coins du monde. Et tant mieux si les paroles s'emmêlent et les voeux s'entremêlent.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Au cours de cette belle journée, magnifiquement ensoleillée, nous longeons plusieurs petits lacs, au bords desquels, tout fiers, nous apercevons enfin des oies à tête barrée, dont nos amis d'Around the Rock nous disent qu'il s'agit de la seule espèce migratrice capable de franchir l'Himalaya.
Sans turbo, les oiseaux, chapeau !
Un peu plus loin, nous atteignons le lac Nangong Cuo, que nous longeons longuement sur la rive sud. Nous sommes toujours dans une zone frontalière, puisque le plan d'eau se prolonge très loin à l'Ouest, dans le Cachemire, mais tout est fait pour donner à ces parages l'allure d'une zone touristique. Des aires de stationnement aménagées en surplomb et des panneaux explicatifs nous retiennent un moment, en attendant l'arrivée des retardataires pris par la frénésie photographique.

Pays en cours Pays en cours


En fin de journée, après une longue et ultime descente, nous arrivons à Shiqanhe.

Shiqanhe (Ali)

Comme beaucoup de localités du Tibet, Shiqanghe est connue sous deux autres noms, au moins : Gar (Ngari ?) et surtout Ali, le plus couramment employé aujourd'hui.
C'est la première vraie petite ville que nous rencontrons depuis notre départ de Yecheng. Sur ce plateau sans vrai village, sans terre cultivée, et même sans vie pastotrale visible, c'est une oasis commerciale dans laquelle on trouve toutes sortes de boutiques qui font le bonheur du voyageur, et même des établissements dotés du Wifi.
Il s'agit d'un centre de peuplement récent témoignant de la volonté colonisatrice de Pékin. Tous les bâtiments semblent fraîchement construits et la population transplantée ici est presque entièrement han. Les Chinois tiennent tous les magasins, les administrations, l'hôtellerie et la restauration.
Les Tibétains minoritaires que l'on croise dans les rues viennent probablement de la campagne environnante. Dans leurs vêtements délavés, souvent dépenaillés, coiffés d'un ample chapeau déformé, ils ont l'allure noble des rois mendiants de la tragédie grecque, comme égarés entre ces façades aux néons factices, étrangers dans leur propre pays.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


L'hôtel sur le parking duquel nous nous installons est un de ces nouveaux établissements que l'on trouve partout en Chine, de Canton à Pékin, dont l'extérieur donne la brève illusion d'un quatre étoiles et dont le hall trop vaste, où les pas sonnent creux sur le carrelage froid, conduit le voyageur, au bout d'un chemin aussi long que cette phrase, jusqu'à un comptoir derrière lequel il trouve invariablement la traditionnelle collection d'horloges indiquant l'heure qu'il est dans la plupart des capitales du monde mais aucun réceptionniste ne possédant la moindre notion d'une quelconque langue étrangère.
Ouf ! Si l'on en doutait, nous sommes bien en Chine.
Depuis notre arrivée, nous tentons en vain de nous procurer une carte sim, qui nous permettrait de rester en contact et de nous connecter à Internet, comme nous l'avons toujours fait depuis notre départ de France, dans tous les pays que nous avons traversés. Nos tentatives individuelles ont été jusqu'ici infructueuses, faute de papiers d'identité chinois. Nous nous en remettons à notre guide, qui réussit à nous obtenir la précieuse puce.
La chose était impossible à Kashgar mais négociable au Tibet.
Impossible aussi de tirer de l'argent au distribanque. Certains d'entre nous commencent à manquer de liquidités. L'agence Greatway, contactée, accepte de leur faire une avance qui sera versée sur le compte du guide.
Indispensable Dhargye !

Le mont Kailash :

Dhargye nous ayant convaincu de faire l'impasse sur la visite de la "Earth forest", qui nous aurait obligés à un détour important sur une route de piètre qualité, nous restons sur la G 219.
Sur notre droite, le panorama est extraordinaire. Nous roulons sur le plat, à plus de 4500 mètres et, sous un ciel définitivement bleu, nous longeons, au sud, la partie occidentale de la chaine de l'Himalaya, dont les sommets nous dépassent encore de plus de 3000 mètres.
Et voici que sur notre gauche, à l'opposé, apparaît un curieux pic, seul, différent, géométrique, pas naturel. C'est le Mont Kailash. Rien moins que l' "axe du monde" ! Dire que nous y arrivons aujourd'hui par une route goudronnée, alors que, pendant deux millénaires, il n'a été considéré que comme une figure mythologique, aussi inatteignable que l'Olympe des Grecs et à l'existence aussi improbable que l' Atlantide, Ogygie ou l'Eldorado.
Pourtant le mont Meru des textes sanskrits existe. Certes, malgré sa majesté, il fait un tout petit moins que 80.000 lieues de haut et ses quatre versants ne sont pas revêtus de pierres précieuses et d'or.
Qu'importe ! Le Kailash est bien un mont sacré. Demeure de Shiva pour les Hindouistes et du Bouddha de la compassion pour les Bouddhistes, il est aussi vénéré par les Bön Po et les Jaïns. Pour le voyageur, c'est un de ces "lieux où souffle l'esprit".
Pensez-donc. Nous sommes à 5000 mètres, au pied d'une pyramide à quatre faces, véritable stupa minéral qui culmine à 6100 mètres. De chacune de ces falaises abruptes, jaillissent quatre sources qui donnent naissance, excusez du peu, à quatre rivières ou fleuves majeurs d'Asie, dont le Brahmapoutre à l'est et l'Indus au nord. Sur la face sud, on peut voir une grande faille qui, avec un peu d'imagination, prend l'aspect d'une swastika.
Le sommet, coiffé d'une couronne de neige, reste inviolé, non que gravir les pentes soit impossible, mais en raison d'un tabou. L'expédition espagnole qui, en 2001, avait obtenu du gouvernement chinois le permis nécessaire à la première ascension, a dû y renoncer devant l'indignation et la pression populaires.

Le pélerinage consiste à faire le tour de la montagne. Cette circambulation rituelle, appelée "kora", se pratique normalement dans le sens des aiguilles d'une montre, sauf pour les Bön, qui tournent dans le sens opposé. Les Bön sont Tibétains mais n'entrent dans aucune des catégories ci-dessus. Leurs croyances sont antérieures à l'arrivée du Bouddhisme et, s'ils en ont adopté les préceptes, leurs rituels présentent encore des aspects chamaniques.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Nous avons élu domicile à Darchen, petit bourg situé au sud, à courte distance de la G 219, entièrement dédié aux préparatifs de la kora. Hôtels, guest houses, restaurants et boutiques de souvenirs constituent les activités principales. Mais, peut-être parce que nous sommes en fin de saison, rien ne nous parait tellement insupportable et, avant la randonnée prévue du lendemain, nous prenons plaisir à nous promener dans l'unique rue du village.
Ici, au moins, nous sommes en pays tibétain ! De part et d'autre de la chaussée, des hommes jouent au billard en plein air. Un peu plus loin, un groupe, assis dans la poussière, s'affronte autour d'une sorte de jeu de go, et la façon que chacun a de jeter les dés, avec un geste ample accompagné d'un petit cri, est très particulière.
Nous croisons plusieurs béliers qui ont l'air de flâner tranquillement et librement dans les rues. Celui-ci se tient sur les talons d'un passant, tel un chien fidèle. Mais lequel des deux est le maître ? On peut avoir un doute tant l'animal semble fier et respecté.
Les gens d'ici ressemblent à ceux de l'Altiplano péruvien et bolivien, avec leurs vêtements de laine, leurs tissus colorés, leurs chapeaux ou leurs bonnets à rabats. Leur teint, leurs traits mêmes semblent quichuas ou aymaras et cet homme grand, fort et droit, avec son visage impénétrable et son regard énigmatique, a l'air d'un chamane ou d'un chef indien.
Il ne manque que les lamas (même pas, en fait !)

Pays en cours Pays en cours Pays en cours

Le lendemain matin , après avoir acquitté un droit d'entrée assez élevé, nous entamons le tour de la montagne.
Xavier et Charlotte nous conduisent le plus loin possible avec leur truck jaune, puis nous voilà partis pour la marche !
Au sommet d'un petit promontoire, nous découvrons d'abord un "cimetière". Les Tibétains ne creusent pas de tombe. Les corps sont déposés en pleine nature, les oiseaux de proie se chargeant de nettoyer ce qui pourrait rester de l'incinération, souvent partielle. Indépendamment du fait que rien n'est fait pour commémorer le souvenir du défunt, ce n'est pas très beau à voir. On dirait une décharge sauvage. Des vêtements, des outils, des objets de toilette sont éparpillés le sol, comme jetés négligemment à terre. Par ci par là quelques ossements noircis, un crâne, un tibia, une mâchoire, jonchent le sol. Seuls éléments religieux dans le paysage, quelques stèles et drapeaux de prière qui flottent non loin de là.
De quoi rendre perplexe. Notre guide nous dira plus tard, quand nous connaîtrons mieux, que les Tibétains ne s'attachent pas au souvenir des morts. Au contraire, effacer le plus vite possible la trace, matérielle ou spirituelle, de toute vie antérieure est la meilleure garantie d'une prochaine réincarnation.

Pays en cours Pays en cours


De ce petit promontoire, on aperçoit vers l’ouest le monastère de Chiuku, assez haut perché, de l'autre côté de la rivière. Nous redescendons et passons un petit pont.
Pour atteindre l'ensemble monastique, il faut franchir la rivière par un petit pont, puis escalader de nouveau une pente assez raide. A plus de 5000 mètres, à demi asphyxiés, nous devons nous arrêter tous les vingt ou trente pas pour reprendre haleine.
Le site n'est occupé que par deux ou trois moines, à l'allure d'ermites, membres de la "secte" des "bonnets noirs", qui est précisément celle de Dhargye. Particulièrement loquace sur ce sujet, celui-ci nous fournit quelques explications sur les différentes écoles et les couleurs qui les caractérisent. Les plus connus sont les bonnets rouges et les bonnets jaunes (auxquels appartient le Dalaï lama). Ces sectes, écoles, bonnets, ont leurs maîtres, leurs pratiques et leurs interprétations du bouddhisme mais ne rivalisent ni ne s'excluent mutuellement. De son exil au Népal, le Dalaï Lama a fait savoir qu'il les reconnaissait toutes à égalité.
Du monastère, le point de vue sur le mont Kailash est absolument extraordinaire. Nous voyons la face Ouest et devinons l'arête marquant le début de la face Nord. En face, au milieu de la falaise à pic, on aperçoit un ermitage creusé dans la roche. En contrebas, le long de la rivière, des files de pélerins, petites taches de couleur vives sur le chemin, poursuivent d'un bon pas leur kora.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Les pélerins les plus vaillants peuvent faire le tour de la monatgne dans la journée mais la plupart effectuent le parcours en deux étapes, dans un sens ou dans l'autre, selon leur religion. Quelques ermitages permettent de faire halte pour la nuit.
Nous avons l'intention de nous montrer très oecuméniques, car, dans les délais impartis, nous ne pourrons faire qu'un aller-retour. Jusqu'où aurons-nous le courage et, surtout, le souffle nécessaire pour marcher ? A une altitude raisonnable, ce serait facile, car le chemin, est relativement plat au début, mais, à plus de 5000 mètres, la moindre petite escalade est épuisante. Finalement, nous pousuivrons assez loin pour arrriver au premier point de prosternation (il en a un sur chaque face) et apercevoir le début de la face suivante du mont sacré. Sur le sentier,de nombreuses haltes nous donnent l'occasion de rencontrer des pélerins.
Ils cheminent par groupes de quatre ou cinq personnes, hommes et femmes. Avec leur besace et leur bâton, ils ont l'allure de tous les pélerins du monde et de toutes religions. Ils peuvent venir de très loin. Pour beaucoup, ce pélerinage est le but d'une vie, un moyen d'effacer leur mauvais karma et de se rapprocher d'une meilleure réincarnation. Ils sont contents de nous voir. C'est réciproque et, même si la conversation est plus que limitée, ainsi haut perchés au pied de la montagne "inspirée", nous avons l'impression de partager quelque chose avec eux.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours




Le lac Manasarovar

A quelques kilomètres de la montagne sacrée, à la même altitude, se trouve un lac tout aussi vénéré: le Manasarovar, "lac de l'esprit".
Les Hindous s'y baignent, comme sur les Ghats du Gange, alors que les Bouddhistes l'honorent en en faisant le tour.
Le monastère de Chiu, au sommet d'une petite colline, offre une vue panoramique sur ce lac et un deuxième, plus petit, le Llanag tso, qui communique avec lui par un étroit canal.
L'excursion a été courte, mais comme nous l'avons effectuée dans le même véhicule que les experts d'Around The Rock, elle nous a donné l'occasion de reconnaître des animaux sauvages. Les blue sheeps, gazelles et ânes sauvages qui vivent dans ces contrées ne sont pas chassés et se laissent approcher d'assez près.
Le blue sheep, ou bahral, assez proche de l'isard pyrénéen ou du chamois alpin, est ainsi nommé en raison de la couleur gris-bleutée de son pelage. Les mâles arborent des cornes impressionnantes.
Les gazelles à goitres, typiques de l'Asie centrale et surtout de Mongolie, sont assez semblables (pour le non connaisseur !) à celles d'Afrique. Elles ont la même silhouette gracile et légère, le même port de tête élégant et inquiet, la même capacité à détaler en bondissant sur leurs quatre pattes. Leur poil est d'un marron très clair, tirant sur le blanc. Les femelles sont totalement dépourvues de cornes.
Les ânes sauvages se distinguent de l'espèce domestique par leur taille et leur corpulence. Ils sont plus grands, trapus, leurs pattes sont plus épaisses. Les mâles comme les femelles sont dépourvus de bât, de corde et de piquet.
Tout ce petit monde se laisse gentiment photographier et ne prend le galop que si l'un de nous s’approche trop près. C'est alors l'occasion pour les spécialistes de réaliser une belle vidéo.


Pays en cours Pays en cours Pays en cours

Catégorie voyage Du Mont Kailash àl'Everest

(Billet du 12 octobre 2015) :

Du mont Kailash à Timgri :

Le mal des montagnes nous a rattrapés. Dans un groupe de seize personnes, à 4700 mètres d'altitude, il fallait bien que cela finisse par tomber sur quelqu'un(e). Nous avons une malade, qui souffre, malgré le Diamox administré, et souhaite redescendre. Il est donc décidé d'écourter le séjour au mont Kailash et de gagner Paryang, puis Saga. Ces deux localités ne sont pas situées beaucoup plus bas, mais ce sera toujours cela de gagné.
A Paryang, nous faisons à nouveau étape dans une cour de guesthouse.
C'est moche, mais il y a une jolie petite salle de restaurant tenue par un jeune couple avec enfant en bas âge. La pièce est chauffée par un poêle central. Il y a même de la viande de yak.

Pays en cours


Au matin, Tirésias refuse de démarrer.
Est-ce la panne définitive ?
Rien de tout cela, heureusement. Anthony, à qui on ne la fait pas, ne prête aucune attention à nos craintes et asperge le filtre à gazole d'un peu d'eau chaude.
Tout rentre aussitôt dans l'ordre. Le carburant n'était pas véritablement gelé mais quelques paillettes avaient dû se former dans le filtre. A l'avenir, mieux vaudrait prendre du -20 °.

Sur la route de Saga, surprise ! Un océan de dunes de sable nous invite à nous ébattre comme si nous étions au Sahara ou sur la dune du Pyla, alors que nous nous trouvons pratiquement à l'altitude du Mont Blanc !
Un peu plus loin, le monastère de Dratun semble presque vide. Détruit et brûlé en 1955, il a été entièrement reconstruit. Tout est là : les moulins à prières, les stupas, les chörtens, mais nous ne rencontrons personne d'autre qu'un chat et un jeune gardien qui fait un peu de culture physique sur des agrès et des balançoires aux couleurs criardes.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Après l'étape de Saga, autre agglomération plus chinoise que tibétaine, Dhargye nous propose de quitter la G 219 pour un raccourci qui nous conduira directement à l'Everest sans passer par Latze. La piste, d'abord assez sablonneuse devient vite très dure et poussiéreuse. Roulant sur une méchante tôle ondulée, nous passons près de plusieurs lacs. L'eau est tellement pure et transparente que le reflet des montagnes y apparaît aussi net et précis que l'original.

Pays en cours


Rejoignant la G 318 qui relie Lhassa à Zangmu, frontière du Népal, nous l'empruntons dans la direction opposée, vers Timgri.
La chaîne de l'Himalaya est proche.
Les villages deviennent beaucoup plus pittoresques que ceux que nous avons vus jusqu'ici. Les maisons tibétaines traditionnelles, à la fois imposantes et d'une grande simplicité, comportent généralement un étage, de grandes fenêtres et des portes joliment décorées.



Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Et voici le Qomolangma, nom tibétain de l'Everest ! Il y a quelques nuages mais nous distinguons nettement sa face nord.
Ses arêtes rectilignes et ses faces abruptes lui donnent la forme approximative de la lettre "A".
Comme description, c'est un peu court, mais qui a dit :
"Essayez de faire la description d'une montagne de manière à la faire reconnaître : quand vous aurez parlé de la base, des flancs et du sommet, vous aurez tout dit" ?
L'Everest ne se décrit pas. Il sort du champ de la géographie, de l'alpinisme et même de la littérature.
Sauf, peut-être, de la Bibliothèque verte. Sir Edmond Hillary et le sherpa Tensing Norgay ! La couverture de "Victoire sur l'Everest", avec le héros, armé de son piolet et accroché de l'autre main main à la paroi de glace. Et les longues marches, les souffrances, les doutes, les palabres avec les porteurs.
Qu'est-ce que ces récits véhiculaient, sans doute, de paternalisme colonial ! Mais, en même temps, comme ce parfum d'aventure pouvait faire rêver, ouvrir l'imaginaire, inviter au voyage ! Aujourd'hui, l'ascension du plus haut sommet du monde est devenue presque banale, mais qui sait si le crayon de couleur et le petit chaton en peluche sont toujours enfouis là-haut ?

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Excursion au camp de base de l'Everest

Il n'y a pas si longtemps, pour gagner l'Everest, on devait suivre une piste réputée difficile. Il existe maintenant une route asphaltée, toute neuve, si récente que même l'agence Greatway semble ignorer son existence.
Cette nouvelle voie débute au carrefour de "New Tingri", environ 50 kilomètres après "Old Tingri", en suivant la G 378 en direction de Lhassa. Sa mise en service rend désormais très facile l'accès au monastère de Rongbo. De là, il ne reste que quatre kilomètres pour atteindre le camp de base.
Les droits d'accès sont assez élevés. Aussi, pour les réduire, nous décidons de nous regrouper dans trois véhicules. Passé le contrôle d'entrée, où, malgré cette habile stratégie, nous sommes délestés d'une coquette somme, nous entamons la montée du premier col. Pour être récente et goudronnée, la route n'en est pas moins impressionnante ! A l'issue d'une interminable série de lacets, Frantz, le "yellow truck" de Charlotte et Xavier, atteint vaillamment une ultime épingle à cheveux formant un balcon étroit où nous sommes accueillis par les traditionnelles bannières et quelques marchands de souvenirs. Du côté sud de cette terrasse naturelle, où il n'est pas très facile de stationner, la vue sur l'Himalaya, quoique réduite par une forte nébulosité, est magnifique.

La descente est encore plus spectaculaire. Par la piste, ce devait être du sport !
En bas, s'étend une une assez vaste plaine, parcourue par une rivière le long de laquelle s'égrènent quelques villages. Dans celui où nous faisons halte, beaucoup de travaux sont en cours. Il ne semble pas s'agir ici de réparations effectuées suite au tremblement de terre mais de ravalements de façades et autres toilettages à finalité manifestement touristique. Un bâtiment flambant neuf abrite la Bank of China et l'emplacement est déjà prêt pour deux distributeurs. Ne manquent que les terminaux (et les billets) mais leur mise en service ne saurait tarder.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Après un deuxième col, la route goudronnée s'arrête au monastère de Rong Bo, lui aussi en pleine rénovation. Dans la cour, une bonne cinquantaine d'ouvriers prennent leur pause du soir, assis sur le ciment, gamelle sur les genoux. Des moines touillent de la chaux et des enduits de couleur dans de grands bidons où viennent puiser de jeunes nonnettes, vaillantes petites fourmis qui vont et viennent entre les bâtiments et les bidons, leur hotte sur dos.
En face du monastère, il y a une guesthouse aux allures de caravanserail, avec une grande cour intérieure pour garer les véhicules et des chambres, ou plutôt des cellules, sur tout le tour. Un peu plus loin un grand hôtel en construction offrira bientôt davantage de confort aux touristes attendus.

Pays en cours Pays en cours


En continuant à monter sur quatre kilomètres, on parvient, à pied ou en bus selon ses capacités à 5200 mètres, au camp de base, où il faut encore escalader un petit monticule. Il est interdit d'aller plus loin. Seuls les montagnards dotés des autorisations nécessaires peuvent accéder à la zone frontalière qui commence ici.
Le temps est maussade, il commence à neiger et il fait froid.

Pays en cours Pays en cours


Dans la guesthouse, le confort est minimal. Pas de chauffage dans les chambres et, pour les toilettes, c'est dans la nature, derrière le mur !
La salle commune est organisée autour d'un poêle qui fonctionne à la bouse de yak. Une des serveuses vient l'alimenter de temps à autre en galettes séchées.
On discute, on boit du thé et de la bière avec quelques voyageurs de rencontre.
Ensuite, après avoir souhaité une bonne nuit à ses compagnons d'un soir, il faut bien se lover dans son duvet, sous une tonne de grosses couvertures et, surtout, ne pas oublier d'aller pisser avant de se coucher !

Au petit matin, tous les nuages se sont dissipés. Le temps est clair !
Le meilleur point de vue est une petite hauteur au dessus du monastère, où sont déjà installés de nombreux touristes, arrivés en autocar dieu sait quand, pour assister au lever de soleil. La plupart sont Chinois ou Coréens.
N'en déplaise aux Népalais, le côté tibétain est le seul endroit d'où l'on ait une vue aussi dégagée sur le plus haut sommet du monde et, maintenant que la route est construite, cet observatoire a toutes chances de devenir une attraction touristique de masse.
Ce n'est pas encore le cas, profitons-en.
Il ne faut pas se figurer un lever de rideau théâtral, puisque le camp de base fait face au sud. Le glacier du Rongbuk, sur le flanc nord de la pyramide, reste donc dans l'ombre, et on ne fait qu'assister à l'éclairage progessif du glacier de Kangshung, sur la face est, de l'autre côté de l'arête.
Mais le Qomolangma sort peu à peu de l'ombre, se révèle, s'illumine, et sa masse, blanche, énorme, semble se rapprocher.
Bien qu'il y ait du monde, peu de gens parlent et on n’entend guère que les déclics des appareils photos.
Le spectacle est indescriptible.

Qui a dit :
"Essayez de rendre la majesté, la beauté : vous ne trouvez que des périphrases. " ?

Alors, remettons-nous en aux clichés.
Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Catégorie voyage De l'Everest à Shigatze

(Billet du 14 octobre 2016) :

Retour à Timgri

En remontant le col aux innombrables lacets, nous faisons de nombreux arrêts pour admirer le paysage unique que nous allons laisser derrière nous. Toute la chaîne de l'Himalaya est maintenant parfaitement dégagée, tous les sommets, à l'est et à l'ouest de l'Everest, sont parfaitement visibles et si ce dernier domine largement ses voisins, ceux-ci, à plus de 8000 mètres d'altitude, n'en sont pas moins impressionnants.
De retour à Timgri, nous reprenons la G 318 en direction de la jonction avec la G 219 quelques kilomètres avant Latze. Pour cela, il faut encore franchir une des passes les plus hautes du Tibet, le Gyantso La, à 5200 mètres. De l'autre côté, un check point aux allures de relais routier, plus sympathique que ceux que nous avons vus jusqu'ici. Par contre, les convois militaires sont de plus en plus nombreux. Ils sont parfois des dizaines à la queue-leu-leu et même s'ils roulent correctement en laissant entre eux un espace réglementaire, les nombreux virages et la circulation, qui commence à se densifier, rendent le dépassement très délicat, surtout pour Tiresias, qui n'a aucune reprise.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


De Timgri à Shigatze

Nous avons retrouvé la G 219, que nous suivons depuis Kashgar, soit près de 3000 kilomètres. Le paysage a radicalement changé. Les étendues quasi désertiques du plateau occidental font place à des prairies et à des champs cultivés. Nous retrouvons des scènes campagnardes que nous avions oubliées : des hommes et des femmes penchés sur la terre, des ânes portant des fardeaux, et des animaux de trait. Ici, ce sont les yaks qui tirent la charrue.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Nous arrivons dans la partie la plus peuplée et la plus historique du Tibet, cœur de l'empire qui du VIIème au IX° de notre ère fut un foyer de civilisation rayonnant vers la Chine et l'Asie Centrale, une terre disputée plus tard entre de multiples petits royaumes, puis envahie tour à tour par les Mongols et les Chinois. De nombreuses ruines jalonnent notre route. Il nous faudrait un bon guide pour mieux les identifier... et du temps pour nous arrêter. Cela vaudrait la peine car, depuis notre départ de Kashgar, les vestiges historiques et monuments dignes d'intérêt n'ont pas été si nombreux et ceux devant lesquels nous passons mériteraient un peu plus d'attention de notre part. Certains ont l'allure d'anciens monastères, d'autres étaient plus probablement des forteresses. C'est tout un pan de l'histoire de ce pays que nous passons en revue en nous contentant de prendre des photos, touristes incultes que nous sommes.

Pays en cours Pays en cours


Shigatze

Shigatze, qui, au cours des siècles, fut parfois capitale, est aujoud'hui la deuxième agglomération du Tibet, après Lhassa.
Avant d'arriver à destination, nous traversons des faubourgs et suivons de grands boulevards. Cela nous fait tout drôle de nous retrouver dans une grande ville, avec de la circulation, des parkings, des feux tricolores...
La majeure partie de la population, estimée à près d'un million d'habitants, se trouve dans les quartiers chinois, les plus importants, mais la partie proprement tibétaine est peu étendue.
Une grande rue piétonne conduit au monastère de Tashilumpo, Elle n'a de piétonne que le nom, car elle est empruntée par des véhicules de tous types. Des échoppes permettent aux touristes et aux pélerins de se procurer tout ce dont ils peuvent avoir besoin pour leur visite ou leur kora.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Tashilumpo

Le monastère de Tashilumpo date du XVème siècle ; il est le siège officiel des Panchen Lamas. Dès l'entrée, on se touve dans une une véritable ville, avec ses rues pavées, ses places, ses maisons d'habitations, leurs cours intérieures, leurs réfectoires, leurs cuisines et, bien sûr, de nombreux sanctuaires.
Tashilumpo, institution religieuse majeure, est rattaché l'école des bonnets jaunes, à laquelle appartiennent à la fois le Dalaï Lama et le Panchen Lama. Les relations entre Panchen et Dalaï et leurs processus réciproques de reconnaissance et de désignation sont complexes et ont varié dans l'histoire, l'un étant tour à tour le maître spirituel, le chef politique ou le tuteur de l'autre. Cependant, depuis le XVIIème siècle, il est admis que c'est le Dalaï Lama qui détient l'autorité suprême.
L'intervention militaire de l'Armée Populaire, en 1959, a changé la donne. Si l'exil de l'actuel Dalaï Lama lui confère une aura internationale, son départ du pays a fait du Panchen Lama la seule figure reconnue par les autorités chinoises.
A la mort du 10ème Panchen, en 1995, le Dalaï Lama, depuis Dharmsala, a reconnu Gendhun Choekyi Nyima comme sa onzième réincarnation, mais les autorités chinoises ont organisé leur propre processus d'élection et désigné Gyaincain Norbu à l'issue d'un tirage au sort effectué entre trois enfants, Cette cérémonie politico-religieuse très contestée donna lieu à un des mouvements de révolte que le Tibet connaît de temps à autre.
Ce Panchen "chinois", âgé aujourd’hui de 26 ans, vit à Pékin et ne se rend que rarement au Tibet. Quant à Gendhun, qui aurait aujourd'hui 20 ans, on ne sait trop ce qu'il est devenu.
C'est le portrait du Panchen Lama officiel que l'on voit aujourd'hui à Tashilumpo mais on visite aussi les mausolées des quatrième, neuvième et dixième Panchen.
Ces trois dernières réincarnations ayant vécu aux XXème et XXIème siècles, leurs portraits photographiques figurent en bonne place un peu partout et leur confèrent un caractère très séculier. On remarque avec amusement la petite moustache très "années Trente" du neuvième, qu'Alexandra David Néel rencontra lors de son premier séjour au Tibet en 1916. Quant à Gyaincain, il ne lui manque que le portable.
Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Outre les mausolées, les temples et chapelles sont nombreux, tout comme les moines qui en surveillent l'accès. La plupart sont de jeunes novices et leur attitude peut dérouter le visiteur occidental, habitué à davantage de componction chez les religieux. Souvent affalés sur le sol, plongés dans la contemplation de leur smartphone, ils semblent peu concernés par le caractère sacré de ce qui les entoure. Mais ne jugeons pas trop vite ce que nous ne comprenons pas.
Les photographies sont payantes et les dons vivement encouragés. L'argent n'est pas caché, il est au contraire exhibé, voire sacralisé. Les petites coupures de un ou cinq jiao (un ou cinq centimes de yuan) se glissent partout, au pied des statues, entre leurs doigts, derrière les grilles, dans le moindre interstice. Et il n'est pas rare de voir un moine assis dans un coin, feuilletant sans fausse honte des liasses de billets.

Pays en cours Pays en cours


Le temple Maitrena abrite la statue de Jampa, le Bouddha du futur. Elle est immense, toute en bronze recouvert d'or et de pierres précieuses. Il s'agirait de la plus grande statue de Bouddha en intérieur. Le visiteur peu sensible au gigantisme lui préfèrera les versions plus petites figurant aux quatre coins, et s’attardera davantage sur les belles peintures murales du sanctuaire.
Plus loin, dans le temple de Kelsang, se trouve une très grande cour au centre de laquelle est dressé un immense mât de prière duquel pendent rubans, fanions, tissus divers. C'est en principe un lieu de rassemblement important pour les moines et les pèlerins mais, à l'heure où nous nous y trouvons, la cour est vide. C'est dommage pour le spectacle mais cela nous laisse toute latitude pour y circuler. La salle d'assemblée, toute proche, est tout aussi déserte. Aux alentours, sur deux niveaux, c'est un enchevêtrement de vestibules, de terrasses et de chapelles, dans lequel nous déambulons en montant et descendant des escaliers. Au bout d'un moment nous ne savons plus trop où nous nous trouvons. Ici encore, il nous aurait fallu un bon guide.
Mais peu importe, car pour les profanes que nous sommes, tout se ressemble un peu et l'essentiel est d'apprécier le caractère général et l'atmosphère particulière de ce lieu.
On peut d'ailleurs prolonger le charme de la visite par une promenade sur les hauteurs, en se dirigeant, à flanc de colline vers le Shigatze Dzong. On appelle cette forteresse le "petit Potala". Elle ne se visite pas.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours

Michel

Catégorie voyage Lhassa

(Billet du 16 octobre 2016) :

"Kαὶ τάχα δὴ ἀκούουσι βοώντων τῶν στρατιωτῶν - θάλασσα θάλασσα - καὶ παρεγγυώντων"

"Lhassa ! Lhassa !"

Nous voici devant le Potala.
La longue anabase que nous venons d'effectuer sur le plateau tibétain vaut bien celle des Dix-mille et nous avons gagné le droit de crier notre joie dans une exclamation presque similaire.
Songeons à ces longs siècles pendant lesquels la ville sainte fut interdite aux étrangers et pensons à Alexandra David Néel, arrivée clandestinement en ces lieux, déguisée en pélerine mendiante, et contemplant le but de son voyage dans un mélange de crainte et de jubilation :
"sans que nul ne se doute que, pour la première fois depuis que la terre existe, une femme étrangère a contemplé la ville interdite".

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Quant à nous, nous sommes venus de Toulouse par la route, tout simplement. Certes, c'est un long voyage, qui demande du temps et une bonne préparation, mais c'est possible. En 2015, même si Lhassa n'est pas complètement ouverte aux étrangers, elle est accessible, avec les autorisations nécessaires. De plus, elle devient un haut lieu du tourisme intérieur pour les Chinois.
Ces derniers, qui n'ont besoin d'aucun permis particulier pour se rendre au Tibet, sont même incités à s'y installer, si bien que les Tibétains sont déjà minoritaires dans ce qui devient une métropole comme une autre.
La ville a plus changé depuis le début du XXIème siècle que pendant les deux derniers millénaires. Plus de la moitié des maisons traditionnelles ont été abattues afin de remodeler le tracé des rues et d'"aérer" le centre, éventré par une artère baptisée, naturellement, avenue de Pékin. Face au Potala, les bulldozers ont rasé un quartier entier, remplacé par une vaste esplanade et un monument à la gloire de la "révolution" de 1959. Les abords du sanctuaire du Jokhang ont été dégagés pour faire place à un large espace dallé plus propice au tourisme, au commerce.. et aux contrôles. Le circuit du Barkhor, circambulation sacrée dans le cœur même de la cité, le long des rues qui entourent le temple, s'en est trouvé rétréci et chamboulé.
A la place des anciennes boutiques, le long des rues rénovées ou des larges boulevards qui la quadrillent aujourd'hui, Lhassa voit pousser des centres commerciaux, des boutiques de mode, des hôtels, des karaokés, de boîtes de nuit. La mise en service d'un fast-food KFC est même annoncée.
Il faut chercher les quelques bouibouis tibétains où l'on peut encore se restaurer, et les guesthouses bon marché, qui accueillaient autrefois les rares voyageurs parvenus jusqu'ici, ont disparu. Celles qui ont résisté se sont adaptées et, une fois restaurées, ont parfois décuplé leurs prix.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Malgré les protestations, le processus s'est accéléré dans les dix dernières années.

Certes, la Lhassa d'autrefois n'était pas un joyau. Les récits des premiers voyageurs décrivent une bourgade misérable triste, grise, envahie par les chiens errants, insalubre, et surtout épouvantablement sale. C'est d'ailleurs parce qu'elle se lavait trop souvent qu'Alexandra David Néel fut démasquée, malgré sa tenue de mendiante !
La vie n'y était pas plus douce non plus, sous la férule d'un régime théocratique. Les moines étaient plus nombreux que les habitants, et, bouddhisme ou pas, les punitions n'avaient rien à envier à celles des états voisins. Mutilations, lapidations, exécutions capitales étaient des châtiments courants et les détenus s'entassaient nombreux, dans les prisons-mouroirs. Si l'on ajoute à cela l'étonnante pérennité du servage, légal et institutionnel jusqu'en 1959, on comprend mieux que l'Armée Populaire ait pu dans un premier temps se présenter comme libératrice.
Il n'empêche. Sans idéaliser le passé, il est trop évident que le présent fait rimer modernisation avec colonisation.

La kora du Barkhor

Le Barkhor est à la fois un quartier et un circuit de pélerinage.
Malgré les multiples contrôles et les mesures d'intimidation, les pélerins sont présents et bien que nous ne soyons pas en période de fête, l'affluence est considérable.
Devant le temple, nous assistons à de longues séries de prosternations. Chaque fidèle ayant déplié devant lui un tapis ou une couverture commence par se placer debout, les mains le long du corps, puis jointes, touchant successivement le front, le bas du visage, et la poitrine. Il s'allonge ensuite de tout son long, selon un mouvement bien décomposé. Fléchissant le buste, il laisse tomber ses mains sur deux sortes de patins sur lesquels il s'appuie pour glisser vers l'avant sans poser les genoux, jusqu'à se trouver complètement allongé, front contre le tapis.
Il ramène alors ses deux mains jointes au dessus de la tête, puis saisit à nouveau ses patins pour effectuer le mouvement inverse et se relève, les bras le long du corps. Il ne reste plus qu'à répéter le mouvement. Combien de fois ? Des centaines, des milliers de fois, cela dépend..

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


La prosternation s'effectue aussi en marchant. Tout au long du Barkhor, beaucoup d'hommes et de femmes font trois pas, se prosternent, se relèvent, font trois nouveaux pas, et poursuivent ainsi leur chemin. Du matin au soir, il semble que cela ne s'arrête jamais et, comme en d'autres lieux de cultes très anciens, on a l'impression d'assister à une scène toujours répétée depuis des siècles et pour l'éternité.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


A plusieurs reprises, le Barkhor a été le lieu de manifestations qui ont attiré l'attention des médias occidentaux. Aussi, la Kora se déroule-t-elle sous une présence policière et militaire qui frôle la provocation. On n'accède au périmètre qu'en passant sous des portiques de détection et tout le parcours est jalonné de postes de contrôle. Les policiers peuvent être tibétains mais les militaires sont tous chinois. Que penser de ces soldats armés qui remontent le flot des fidèles à contre courant? En tout autre endroit sacré, cette omniprésence des forces de l'ordre provoquerait probablement des incidents quotidiens. Mais en dehors des scènes d'émeutes et de répression violentes qui secouent parfois le quartier, celui-ci vit avant tout sa vie religieuse, même si, dans cette occupation silencieuse de ce qui reste de l'enceinte sacrée, on devine une farouche volonté de résistance, et si, en tendant l'oreille, dans le murmure inintelligible des prières marmonnées, on perçoit comme une colère muette.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Le sanctuaire de Jokhang

On pourrait qualifier le Jokhang de Saint des saints car il représente le cœur du bouddhisme tibétain. C'est le sanctuaire le plus vénéré du pays. Il abrite une des deux statues du Bouddha amenées d'Inde au VIIème siècle par les épouses chinoise et népalaise du roi Songtsen Gampo : celle du Jowo Sakyamuni. Elle est si ancienne que, selon certaines sources, elle aurait été sculptée du vivant même de Siddhārtha. Pour d'autres, elle serait, comme certaines icônes orthodoxes," ἀχειροποίητος". Pourtant, si elle n'a pas été "faite de main d'homme", certains n'ont pas hésité à porter la leur sur elle et, dans l'histoire, elle a connu maintes vicissitudes. Ces sacrilèges ne font que renforcer la ferveur dont elle fait l'objet.

Nous avons pu entrer en même temps que les fidèles, à une heure où toutes les chapelles étaient encore ouvertes. L'accès des touristes s'effectue par une entrée séparée. Une fois passées la porte principale et les quatre grandes statues des Rois gardiens, on accède à la cour destinée aux cérémonies officielles, puis au temple proprement dit, où l'on retrouve la foule qui se presse en file indienne depuis l'extérieur.
La salle principale du sanctuaire contient plusieurs statues imposantes, dont celle de Guru Rimpoche. En un défilé ininterrompu, les pélerins effectuent en silence le tour complet du sanctuaire, dans le sens habituel des aiguilles d'une montre. Le pourtour est bordé de dizaines de chapelles dédiées à différentes manifestations du Bouddha. Elles sont toutes clôturées par une grille ouvragée que l'on ne peut franchir que par une porte très étroite. La file entre et sort successivement de chacune de ces minuscules cellules. A l'intérieur,la kora continue et, toujours en tournant autour d'une sorte d'autel central, les fidèles déposent leurs offrandes au pied des différentes statues. Ils offrent, comme ailleurs, des billets de banque, mais ils versent aussi dans des jarres le beurre de yak liquide qu'ils ont apporté avec eux. L'odeur très particulière, forte et âcre, mêlée à la fumée des bâtonnets d'encens et des lampes, prend à la gorge. Des moines s'activent pour récupérer les dons, vider les récipients quand ils sont pleins. Pas un mot n'est prononcé.
Devant la chapelle principale, celle du Jowo, il y a tant d'affluence que je n'ai pas osé entrer. Je suis resté devant la porte, une des plus anciennes œuvres d'art du Tibet, au milieu des prières et des prosternations.
Je me fais petit, sachant que je suis à peu près aussi discret qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Tout le monde est très gentil. On s'efface pour me laisser passer, mais je me demande ce que ces gens pensent, au fond, de mon attitude.

Le Potala

Et le Potala, alors ?
Ah oui ! le Potala !
Nous n'y sommes pas allés.
Plus exactement, après quelques hésitations - car nous ne sommes pas près de repasser par ici - nous avons décidé de ne pas en visiter l'intérieur.
Le prix demandé, d'abord, nous a choqués. Cinquante euros par personne, nous aurions certes pu les payer, et nous l'aurions certainement fait si l'aspect financier avait été le seul motif de nos réticences.
Mais les conditions de visite étaient tout aussi dissuasives. Il fallait réserver sa place à l'avance dans une agence agréée (qui prélève plus qu'une dîme), se présenter à une heure très précise et effectuer le parcours en un temps donné, sans possibilité de s'attarder dans telle ou telle salle ni de revenir sur ses pas.
Enfin, l'aspect politique de cette visite organisée et militairement encadrée a achevé de nous décider. Si j'étais un jour forcé de quitter mon pays, je n'aimerais pas que la police fasse visiter ma maison en mon absence.

Cette décision ne nous a pas empêchés de venir plusieurs fois au pied de la colline, de jour et de nuit, ni d'en faire le tour.
D'ailleurs, dans le Voyage d'une Parisienne à Lhassa, Alexandra David Néel est assez sévère avec la décoration des salles du palais et les conditions de visite (déjà !), et s'attache surtout à décrire sa place dans la ville et le "caractère" qu'il lui donne, comme l'Acropole d'Athènes ou Sainte Sophie de Constantinople.
"Si beau que soit le paysage encadrant Lhassa, il ne retiendrait cependant pas l’attention dans un pays riche, comme est le Thibet, en sites d’une majesté exceptionnelle, si le Potala ne lui conférait pas un caractère tout à fait particulier."

Vue de la nouvelle esplanade, ou du petit monticule proche, la résidence des Dalaï Lamas se présente non pas comme un château sur une hauteur mais comme un ensemble de bâtiments se côtoyant et s'étageant sur toute la colline.
On distingue nettement deux palais superposés.
Le palais blanc a l'aspect d'une robuste forteresse, avec son mur de soutainement imposant, flanqué de quelques tours à l'allure défensive.
Le palais rouge, au dessus, semble s'appuyer sur cette solidité et en profiter pour s'élever.
Les nombreuses ouvertures, les lignes dorées des toits qui le surplombent donnent à cet ensemble hétéroclite et massif un peu plus de légèreté.
On dit parfois que la superposition des couleurs du Potala rappelle la dualité spirituelle et temporelle du pouvoir qui s'est jadis exercé ici. Le rouge du "I" et la blancheur du "E", les "rois blancs" soutenant la "pourpre" de l'habit monastique ? Pourquoi pas ? A moins qu'on ne voie au contraire dans cette symbolique rimbaldienne le "sang craché" du pouvoir sur la "candeur" de la vie spirituelle.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Il y a aussi une kora du Potala. Le chemin est bordé de moulins à prières et jalonné de stèles, de chörtens et de quelques chapelles. Pour le non pratiquant, c'est une agréable promenade et l'occasion de voir le palais sous tous les angles et toutes les coutures.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Et le reste ?

En deux jours, il était impossible de visiter tous les sanctuaires qui existent dans et aux alentours de Lhassa.
Dans la vieille ville, nous avons consacré quelques heures aux magasins d'artisanat et aux boutiques qui vendent l'attirail touristique à ramener chez soi : moulins à prières, drapeaux, tapis.
Le Barkhor et ses environs comptent encore de belles maisons anciennes et de nombreux temples, parfois ssez singuliers, comme le Karmashar, un des lieux où se rendaient les oracles et où l'on est accueilli par une figure grimaçante peinte sur une espèce d'outre en peau de porc.
Dans le quartier musulman, la communauté Kachee (musulmans tibétains de souche) est assez importante et se voit adjoindre un nombre croissant de Hui (musulmans chinois venus principalement du Yunan). La mosquée ést très fréquentée aux heures de prière.
Le temple de Ramoché, proche de notre parking d'hôtel, contient la deuxième statue du Jowo, le Jowo Mikyoba, qui fait l'objet d'un culte aussi important que celle du Jokhang.
En certains endroits, il y avait foule ; d'autres étaient étrangement vides et calmes, une nonne ou un moine semblant être les seuls occupants.

Au moment de quitter Lhassa, je m'interroge.
Qu'avons-nous vu ?
Des sanctuaires en proie au sacrilège de la modernisation ?
Une ville sainte dépossédée de son âme ("Rome n'est plus dans Rome", etc) ?
Lhassa, après tout, n'a-t-elle pas le droit d'être une capitale comme une autre, un peu sainte, un peu touristique, un peu moderne, un peu belle et un peu moche, très banale en somme ?
Derrière l'avenue de Pékin, nous avons trouvé des quartiers ordinaires, croisé des Tibétains et des Chinois qui n'étaient ni des pélerins ni des colons.
Dans les rues, sur les marchés, la vie quotidienne suit son petit train-train.
Dans les cours d'immeubles, la lessive se fait dehors, mais dans des machines à laver.
Des paraboles posées au sol servent à concentrer les rayons du soleil pour faire chauffer l'eau. A l'inverse, un wok peut faire office d'antenne wifi.
Vie traditionnelle et monde moderne, adaptation à un univers technologique envahissant, rien de plus normal.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Lhassa est toujours dans Lhassa. C'est nous qui partons.

Michel

Catégorie voyage De Lhassa à Shangri La

(Billet du 23 octobre 2015) :

Au moment de quitter Lhassa en direction de l'est, les autorités nous imposent un second guide, officiellement pour des raisons de sécurité et en raison de l'importance de notre groupe (16 personnes). Ce nouvel arrivant voyagera avec nous, Dhargye s'installant tour à tour dans le 4x4 de Raymond-Lucie et le truck jaune de Charlotte et Xavier.
La partie orientale du Tibet est très différente de la partie occidentale. Les forêts y abondent et elle est accidentée, creusée de profondes vallées dominées par des pics très élevés. Là, coulent des fleuves ou des affluents aux noms tibétains qui s'appelleront, bien plus loin Brahmapoutre, Mékong ou Yang Tsé Kiang.
Les Chinois prisent fort cette région sauvage et verdoyante que certains appellent la "Suisse tibétaine".
Les cols dépassent rarement 5000 mètres mais la route descend souvent très bas au fond des gorges pour repartir de plus belle à l'assaut du col suivant, par d'interminables séries de lacets. De plus, comme nos bivouacs sont parfois aux alentours de 2000 mètres, ces dénivelés et pourcentages importants ne font pas du tout les affaires de Tirésias, qui n'est toujours pas réparé.
En outre, mieux vaut ne pas avoir le vertige. Les à-pics sont impressionnants et il n'y a souvent aucun parapet ni rail de sécurité. Quand on croise un véhicule venant en sens inverse et qu'il faut serrer à droite au bord du précipice, le passager doit avoir le cœur bien accroché ! Sans être vraiment dangereux, certains passages demandent quand-même une extrême attention. C'est exaltant, mais parfois stressant et toujours fatigant.
Enfin, la G 318, baptisée "route de l'amitié" est dans un état beaucoup plus médiocre que la G 219. Nous avons dû rouler presque tous les jours, parfois longuement, sur des portions de chaussée en travaux, dans des conditions précaires. Heureusement qu'il n'a pas plu et que nous n'avons trouvé de neige qu'en haut des cols.


Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Première étape : Lhassa - Linzhi

Cette longue étape nous fait passer par plusieurs cols, souvent enneigés au sommet.
En chemin, nous croisons des pélerins en route vers le Jokhang, dans la même attitude que celle que nous avons vue aux abords du temple. Ils font deux ou trois pas, selon leur taille, et s'allongent pour se prosterner, avant de reprendre leur marche.
D'où viennent-ils et quelle distance parcourent-ils ainsi ?
Ils partent de leur village, très exactement du seuil de leur maison et effectuent cette série de prosternations juqu'à Lhassa. Cela peut représenter plusieurs centaines de kilomètres, pendant des mois.
De quoi vivent-ils ? Certains bénéficient d'une petite logistique ; ils sont accompagnés d'une ou deux personnes de leur famille, qui portent l'eau, la nourriture et le nécessaire de voyage, sur le dos ou en traînant une petite carriole à bras. Mais beaucoup marchent seuls et ne vivent que de la charité et de l'hospitalité qu'on peut leur accorder le long des routes et dans les hameaux où ils peuvent se reposer pour la nuit.
Autrefois, ils marchaient sur des chemins, mais aujourd'hui, leur pélerinage se fait sur des routes où la circulation est importante. A les voir ainsi s'allonger sur le goudron, au milieu des vapeurs d'essence ou de gazole, on se dit qu'ils font preuve d'encore plus d'abnégation que leurs ancêtres.



Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Linzhi est le nom tibétain de Nyingchi. C'est une ville toute neuve, dont les buildings semblent sortir de terre sous nos yeux en temps réel, un pôle de colonisation de plus, mais d'une dimension encore supérieure. Le gouvernement de Pékin installe ici des dizaines de milliers de Chinois transplantés. Amèrement, les Tibétains disent que le nom de la ville (jeu de mots intraduisible) indique désormais la disproportion entre les deux populations.
La route est bonne et devient même excellente dans les derniers kilomètres, où elle se termine par une autoroute. Pour la première fois depuis bien longtemps, nous nous trouvons en dessous de 3000 mètres.
Avant de quitter Lhassa, l'agence Greatway nous a fait savoir par courriel que, désormais, nous ne pourrions plus dormir dans nos véhicules et aurions l'obligation de prendre une chambre d'hôtel tous les soirs. Pour notre sécurité, cela va sans dire... Nous avons bien l'intention d'ignorer cet avertissement et faisons confiance à Dhargye pour nous obtenir au cas par cas les autorisations nécessaires. De fait, en ce premier jour, la chose ne semble pas facile mais, après deux tentatives infructueuses, il obtient l'accord de la police locale et nous pouvons nous installer au fond d'un parking (moyennant finance, bien entendu).

Deuxième étape : Nyingchi-Bomi

Cette deuxième journée a été très longue et la dernière partie du parcours épouvantable.
Au matin, la visite du temple Lamaling nous oblige à faire un long détour, par une petite route qui suit quelque temps la rivière avant de s'engager dans une zone plus boisée. Le monastère est situé un peu en hauteur. Une fois dans l'enceinte, on accède au temple proprement dit par un escalier assez raide. Des panneaux invitent le visiteur à s'acquitter d'un droit d'entrée, à suivre quelques règles de bonne conduite... et à se méfier des chèvres, qui peuvent se montrer agressives.
Les niveaux superposés de l'édifice lui donnent l'allure d'une pagode et le toit a une couleur différente aux quatre points cardinaux. A l'intérieur du sanctuaire, nous cherchons partout sans la trouver l'empreinte du pied de Guru Rimpoche. Dhargye vient à notre secours et en profite pour nous faire un cours sur le sens du terme "Rimpoche", qui ne s'applique pas qu'au deuxième Bouddha, ce qui donne à certain(e)(s) l'occasion de fayoter un peu : "Moi, je le savais, Msieur !"



Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


C'était une belle matinée. La suite sera plus difficile. La route s'enfonce dans les montagnes. Comme on nous l'a annoncé, le relief et la végétation sont plutôt de type alpin. Sur les pentes, les forêts s'étagent à perte de vue et les feuillus commencent à peine à prendre les couleurs de l'automne. Nous franchissons des cols, plongeons au fond de gorges étroites, longeons des rivières tumultueuses, jusqu'à déboucher dans une plaine assez vaste où commence la forêt de Lulang. Cette étendue de pins et d'épicéas, immense et unique au monde, s'étend à perte de vue dans la vallée, entre les monts qui la dominent. Malheureusement, il faut payer pour accéder au site aménagé et pouvoir admirer la mer végétale depuis les postes d'observation qui jalonnent le tracé.
Nous commençons à nous lasser de ce racket permanent. Passe encore pour les monuments, mais pour les sites naturels... En outre, nos guides semblent un peu inquiets et nous conseillent de ne pas trop nous attarder car la dernière partie du parcours s'annonce difficile.

Ils avaient raison ! Plus loin, nous tombons dans une affreuse zone de travaux. La route est en complète réfection et, pour l'instant, tous les véhicules circulent sur une piste étroite, pleine de trous, de bosses et de pierres, très accidentée... et accidentogène. Aucune circulation alternée n'a été mise en place et nous nous retrouvons prisonniers d'un embouteillage mêlant camions et voitures. Dans les redémarrages en côte, Tiresias, en manque de puissance, a parfois du mal à s'arracher des ornières et des roches qui roulent sous ses roues.
Nous arrivons à Bomi à la nuit. Décidément, c'est à l'est de Lhassa que la route est la plus difficile.
La situation actuelle ne devrait cependant pas durer car nous voyons partout des tunnels et des viaducs en cours de construction. Il faudra repasser par ici dans un an ou deux !



Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Troisième étape : de Bomi à Baxoi

Dhargye a bien fait de couper en deux la journée initialement prévue. Je ne vois pas comment nous aurions pu faire Nyinchi-Baxoi d'une seule traite, étant donné l'état de la route d'hier.
La troisième étape a été plus facile, même si la route est toujours aussi spectaculaire.
Nous avons tous besoin de nous poser quelque part dans cette nature que nous ne faisons que traverser, et obtenons de nos guides le droit de passer quelques heures de farniente au bord du lac Ranwu, bordé de quelques villages tibétains. Le cadre est tout simplement merveilleux. Pique-nique de groupe au bord de l'eau avec, en arrière plan, le décor extraordinaire de sommets enneigés qui culminent à des hauteurs déraisonnables, balades, innombrables photos. L'arrivée d'un groupe de chinois surexcités vient mettre un point d'orgue à cette belle demi-journée.
On se croirait presque en vacances, mais il faut repartir. On nous attend au check-point !
Dans le dernier col avant Baxoi, nous sommes encore bloqués longuement par un camion renversé au milieu de la route. Les 4x4 parviennent à passer par un trou de souris, mais nous n'arrivons sur le parking d'hôtel qu'à la nuit tombée.
Baxoi est un gros village modernisé mais qui est resté très rural. Dans la rue principale, le bétail se mêle à la circulation. Il y a même une étable au fond de la cour où nous sommes installés.



Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Quatrième étape : de Baxoi à Markam

Au matin, après avoir déjeuné en regardant passer les yaks qui sortent tranquillement de leur étable et se faufilent entre nos véhicules pour aller vagabonder Dieu sait où dans les rues du village, nous partons pour Barkham.
La route est de nouveau en cours de construction. Après avoir passé deux cols, nous roulons dans une plaine large et poussiéreuse, qui nous fait passer par le monastère de Zuo Gong.

Zuogong n'est pas un lieu touristique. C'est un monastère très actif, situé près du village de Wamda, dans une région qui a connu récemment quelques incidents.
Notre courte visite en ces lieux restera sans doute un des moments les plus authentiques, et les moins descriptibles de notre séjour au Tibet.
Nous avons assisté à l'assemblée des moines dans le temple.
Ils sont une bonne cinquantaine, assis en tailleur, immobiles, drapés dans leurs habits de couleur pourpre, un bol devant eux, psalmodiant au rythme d'une trompe et d'un tambourin. Un maître de cérémonie règle le concert des voix. Mais sont-ce bien des voix, ces sons d'une profondeur et d'une tonalité inconnues, dont chaque participant ne semble être que l'instrument ?
On pourrait rester là pendant des heures pour profiter de ce moment exceptionnel, des jours et des mois pour essayer d'en percer le mystère, ou se faire moine pour ne plus avoir à se poser ce genre de question.


Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Heureusement, nous ne pouvons pas demeurer plus longtemps. Nous devons regagner nos véhicules et rejoindre au plus vite le prochain check point avant que la route ne soit fermée et livrée aux bulldozers juqu'au lendemain.
Nous franchissons le point de contrôle fatidique in extremis et repartons pour une nouvelle série de cols.
Une centaine de kilomètres avant Barkham, la G 318 rencontre la G 214, que nous suivrons à partir de demain, pour piquer vers le sud, et nous parvenons à notre bivouac du soir.

Cinquième étape : De Markham à Dechen

C'est à Markham que la G 218 et la G 214 se séparent. La première part vers le nord pour traverser le Sichuan via Chengdu, et au delà, atteindre Xian et Pékin. La deuxième oblique résolument au sud en direction du Yunan, via Lijiang, Dali et, plus loin, Kunming.
C'est notre route.
C'est aussi notre dernier jour au Tibet.
Ce soir, nous serons dans la province du Yunan.
Est-ce parce que nous savons que nous ne verrons bientôt plus ces paysages que nous les trouvons encore plus beaux ? C'est comme si cette dernière partie du trajet était la plus marquante depuis notre départ de Lhassa.
Les dénivelés sont plus importants que jamais. Les sommets des cols, toujours enneigés, offrent des points de jamais vu. Les descentes sont vertigineuses et nous font plonger dans des gorges où coulent des rivières et des fleuves partis pour de longs cours dans toute l'Asie : Le Salouen vers la Birmanie, Le Mékong vers le Laos, le Yang Tse Kiang vers la Chine.



Pays en cours Pays en cours Pays en cours Pays en cours


Quelques kilomètres avant le denier check point du Tibet, nous faisons halte à Yanjing, près d'une église catholique. Construite au XIXème siècle par un missionnaire français, elle reste la seule en activité de tout le Tibet. A l'extérieur, elle ressemble en tous points à un temple bouddhiste. Il faut pénétrer à l'intérieur pour découvrir une vaste nef, aux proportions harmonieuses. Sobrement décorée, elle peut recevoir plus de 500 fidèles.
Depuis deux jours, nous voyons des vignes dans le paysage, signe que le climat se radoucit de plus en plus.
A Yanjing, nous trouvons même du vin. Sans doute la viticulture s'est-elle développée ici sous l'influence des prêtres qui se sont succédé dans l'église ! Nous parvenons à acheter quelques litres de la production locale.
Ce n'est certes pas du Madiran ni du Gaillac mais, au bivouac, il sera très apprécié.

Un dernier check-point et nous allons quitter le Tibet. Depuis Kashgar, combien de ces postes avons-nous rencontrés, tenus tantôt par des policiers, tantôt par des militaires. Des dizaines, sans doute. A quoi servent-ils ? A rien, sinon à multiplier les tracasseries pour bien montrer que le pays est sous tutelle. Ce n'est jamais tout à fait la même chose. Sortir du véhicule ou pas ? Tous les passagers ou le "driver" seul ? Les passeports suffisent-ils ou faut-il aussi les permis de conduire ? Ah ! ils veulent voir les plaques d'immatriculation. Toutes ou une seule pour tout le groupe ? Évidemment, rien ne peut être efficacement contrôlé. Le plus important est d'être en règle pour le permis de séjour au Tibet, mais cela, c'est Dhargye qui s'en charge.

Pays en cours Pays en cours Pays en cours
Épilogue (exodos) : De Darchen à Shangri La

Officiellement, Shangri La fait déjà partie du Yunan, mais, historiquement, la région appartient au Tibet. La partie la plus intéressante du parcours d'aujourd'hui est le passage à proximité de la boucle de la rivière Jinsha.
Le Jīnshājiāng n'est autre que le nom donné au cours supérieur du Yang Tsé Kiang. A partir d'ici, au lieu de continuer à couler vers le sud, comme les autres grands fleuves qui prennent leur source au Tibet, en direction de l'Inde, de la Birmanie et du Laos, le Yangtsé effectue une boucle à 180 degrés. Plus loin, après son passage dans les gorges du "Saut du tigre" et quelques autres virages, il prendra définitivement la direction de l'est pour aller se jeter en mer de Chine, du côté de Shanghaï.
Mauvaise surprise : La terrasse naturelle qui permet d'avoir le meilleur point de vue sur le site est clôturée et l'accès en est payant, ce qui nous oblige à quelques filouteries qui ne sont plus de notre âge.
Cela en vaut la peine. Que serait la chine sans le bassin du Yang Tsé Kiang ? Et que serait le cours du Yang Tsé sans cet accident géologique ? Photo !

Pays en cours Pays en cours


Shangri La est un drôle d'endroit. Plus qu'une ville, c'est un centre touristique. Son nom même est usurpé, tiré de la prétendue localisation de la vallée tibétaine imaginaire du roman de James Hilton et du film de Franck Capra.
Ce pourrait être une utopie montagnarde ; ce n'est qu'une trivialité commerciale. Et le monastère de Songzanlin n'est certainement pas la lamasserie de la vallée parfaite. Tickets, circuit imposé en bus, parc d'attraction etc. C'est décourageant. N'y allons pas.
Ne gâchons pas nos beaux souvenirs du Tibet par une "sad end" aussi racoleuse.
Cherchons plutôt un bon restaurant pour fêter dignement les adieux de nos guides tibétains, dont la mission s'achève ici. Ils nous étaient imposés mais ils nous ont été indispensables et nous nous sommes vraiment bien entendus.

Pays en cours Pays en cours


Continuez à nous suivre sur www.periegeses.net pour la suite du voyage avec notre nouveau guide chinois, dont les aventures vous seront prochainement contées.

FIN

Michel