Périégèses - Saison 1 -Episode 1 Twitter Flickr Vimeo RSS Où sommes-nous ?

Menu accordéon en images
Le menu de saison propose un autre accès aux différentes rubriques du site.
Chaque épisode contient un récapitualtif des notes, photos, videos, bivouacs, fiches pratiques
Retour au sommaire

Catégorie voyage D'Oslo à Stavanger

(Billet du 12 juin 2014) :

- Kristiansand
- Stavanger
- Le Preikestolen

Kristiansand, Mandal, le phare de Lindesnes :

Entre Oslo et Stavanger, on peut ne pas s'arrêter à Kristiansand, où il n'y a rien de particulier à voir sinon un parc d'attraction et un musée d'art et traditions populaires, mais j'ai aimé l'atmosphère de cette ville au plan hippodamien. Au centre, à la place de ce qui fut autrefois une zone industrielle (aujourd'hui située hors de la ville), tout a été rénové et aménagé : promenade, herbe verte, bancs, et même une petite plage où certains se baignent. On s'y sent bien.
On peut ne s'arrêter qu'une heure ou deux à Mandal, petit village aux jolies maisons de bois, toutes blanches, mais très touristique.
Le détour par le phare de Lindesnes vaut la peine, bien qu'à l'arrivée on tombe sur un gigantesque rassemblement de camping cars. Le site est réellement très beau.Et puis, c'est le point le plus méridional de Norvège. Quand on part pour le cap Nord, il faut partir de l'autre extrémité du pays !

Stavanger :

A Stavanger, il faut s'arrêter.
La ville qui fut autrefois un important port de pêche et de transformation du poisson est devenue depuis les années 70 la capitale norvégienne du pétrole. On pourrait donc penser que les anciennes conserveries ont fait place aux raffineries et que l'odeur du mazout a remplacé les relents de saumure et de hareng fumé. Pas du tout. Si les rues de Stavanger sentent parfois la sardine grillée, c'est que celle-ci sort des cuisines d'un des nombreux restaurants chics qui les bordent. En effet,précisément parce qu'elle est le port d'attache des ingénieurs qui travaillent sur les plateformes situées au large, Stavanger est aujourd'hui une mignonne petite ville parfaitement poprette, coquette... et friquée. On s'y promène avec plaisir dans ses ruelles pavées et fleuries, on s'arrête devant les anciennes maisons de pêcheurs en bois, retapées, rénovées, boboïsées, on baisse la tête devant les drapeaux tricolores qui pendouillent devant les boulangeries ceci et les cafés cela mais on laisse les croissants et les expressos français aux Norvégiens qui ont les moyens de se les offrir. Ici le hamburger est au prix du menu entrée-plat-dessert, l'eau minérale au prix du vin rouge, le vin blanc au prix du Champagne et le Champagne doit être au prix de l'or (pas le noir).

L'or noir, justement il en est question dans le très intéressant musée du pétrole.
Riche, intelligemment conçu, l'Oljemuseum invite le visiteur à se plonger dans l'univers quotidien de la production sur une plateforme en mer. Tout est bien expliqué : la géologie, les méthodes de forage, l'organisation du travail, la prévention des risques, les types de plateforme etc. On voit les machines, on entre dans une capsule de plongée, on descend au fond de l’océan où l'on assiste à la réparation d'un oléoduc, on part en hélicoptère, on se retrouve sur le pont d'une plateforme, on voit, on entend, on sent, presque. C'est remarquablement fait et très complet. Voici même la pièce responsable d'une catastrophe en mer. "Braking the waves". On s'y croirait. Il ne manquerait plus qu'on rencontre l'héroïne dans le bus du retour !
Mais le parcours que le visiteur fait dans un musée et l'impression générale qu'il en retire sont largement conditionnés par l'orientation que lui ont donnée ses concepteurs. Or, si la pensée de ces derniers est réellement le reflet de celle des Norvégiens, ce que j'en retiens surtout, c'est l'incroyable angoisse que semble éprouver ce peuple devant la colossale richesse accumulée subitement dans les cinquante dernières années. Pays le plus pauvre d'Europe au sortir de la deuxième guerre mondiale, la Norvège est devenue le plus riche du monde après les émirats du Golfe ; et on dirait, à en croire ce qu'on lit à l'Oljemuseum, que ses habitants en sont comme stupéfaits, pétrifiés par l'extraordinaire découverte de ce jour de Noël 1968, tel l'imprudent qui a osé regarder la Gorgone en face (on nous rappelle, d'ailleurs, que le pétrole est une roche).
Deux questions reviennent en boucle :
1. Comment nous, Norvégiens, peuple du monde le plus amoureux et le plus proche de la nature belle et sauvage, pouvons-nous nous arranger avec l'idée que notre fortune est basée sur les revenus d'une énergie polluante et parfois destructrice ?
2. Que faire de tout cet argent ?
Ce sont les deux angoissants problèmes que pose, de manière récurrente, presque chaque étape du parcours. L'intention est louable et sincère et je ne dirais pas que cette avalanche d'interrogations sert à s'acheter une conscience. On trouve même quelques pistes de réponses : utiliser ces ressources pour protéger l'environnement, penser aussi aux énergies renouvelables, prévoir l'après pétrole, investir pour les générations futures, aider les pays en voie de développement...
Mais cette démarche intellectuellement honnête laisse quand-même une impression de malaise. Par exemple, que penser devant les statistiques qui expliquent, naïvement, que, non, l'explosion du revenu par habitant n'a pas rendu les Norvégiens d'aujourd'hui plus heureux que leurs grand-parents ? Poor new little rich man qui se demande si l'argent fait vraiment le bonheur et se désole déjà du malheur que son excès de bien être risque de causer au reste du monde !
Après le sanglot de l'homme blanc, allons nous voir couler les larmes d'or noir du crocodile du Brent ?

Le Preikestolen :

On a beau l'avoir vue cent fois sur des posters ou en couverture de brochures touristiques vantant la beauté des fjords de Norvège, c'est quand même un choc, une grande claque qu'on reçoit quand on arrive en haut de cette sacrée falaise, sur ce petit plateau rocheux, après deux heures de marche. J'ai eu beaucoup de chance ; il a fait toute la journée un soleil radieux, le sol était sec, et j'ai trouvé peu de monde car je suis parti tard en fin d'après midi. Quel pays merveilleux et quelle saison formidable pendant laquelle les journées sont si longues qu' on peut se permettre de partir en randonnée à 18 heures, pour arriver au sommet à 20 et se retrouver au camp de base à 22 !

La montée ressemble à une rando classique, sans difficulté, sur chemin bien balisé. C'est beau, sauvage, mais celui qui est habitué à la montagne n'est pas vraiment impressionné ni même dépaysé.
C'est au détour d'un gros bloc rocheux que j'ai découvert soudain la falaise, dont le dessin, à cette heure et avec cette lumière, m'est apparu à contre jour, comme un trait de crayon ou de fusain, angle droit finement tracé, noir, entre le bleu du ciel et celui du fjord. Dernière partie de l'ascension, les yeux rivés sur cette vision : Tout là haut, à l'endroit où le trait horizontal plongeait à la verticale dans le vide, un téméraire assis tout au bord balançait ses jambes, et cette silhouette qui épousait la forme de l'angle droit semblait à sa place sur la page, dans une pose naturelle et paisible qui ne ressemblait pas à une inconsciente fanfaronnade.
Là haut, sur le plat, je me suis approché du bord, le plus possible, en avançant le cou pour regarder. 600 mètres plus bas, l'eau avait exactement la même couleur que le ciel. En dessous de moi, il y avait des bateaux et, entre eux et moi, un avion qui faisait des ronds au dessus de l'eau ! Je me suis fait prendre en photo, comme tout le monde, puis me suis allongé sur le sol, comme les autres. Nous n'étions qu'une dizaine à cette heure-là, personne ne parlait.
Au bout d'un moment, un groupe de jeunes a commencé à sortir tentes et sacs de couchages et ils sont partis un peu plus loin établir leur campement pour la nuit. J'ai un peu regretté de ne pas rester avec eux mais j'ai pris le chemin de la descente d'un coeur léger. J'étais heureux.

Et au retour, c'est l'accident stupide. Non pas la cheville foulée ou le genou tordu. Non, c'est la panne devant le clavier, le trou de vocabulaire, le dégoût de l' adjectif archi rabâché, de l'image trop riche, de la comparaison qui affadit.
Alors, je ne dirai rien de plus sur le Preikestolen. Et dire que c'est mon premier fjord ! La vraie région commence à Bergen ! Que vais-je bien pouvoir écrire ?