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Catégorie voyage Tbilisi

(Billet du 12 août 2014) :

En camion, il est toujours préférable, pour entrer dans une grande ville inconnue, de choisir un dimanche, car la circulation est souvent réduite. C'est ce que nous avons fait à Tbilisi, capitale d'un million d'habitants, dans un pays où la conduite ne semble obéir à aucune autre règle que celle de faire crisser ses pneus, hurler son autoradio et vrombir son moteur. Comme à notre habitude, nous cherchons -et trouvons- à nous loger en plein centre.
Notre camp de base se situe à deux pas du théâtre de marionnettes Gabriadze, situé dans un quartier très calme et piétonnier, sur une place minuscule. C'est un endroit charmant. La maison a été entièrement restaurée et le résultat est très poétique, mi enfantin mi surréaliste, à l'image des spectacles du metteur en scène, bien connu en France.
En août, Gabriadze faisait relâche, mais nous nous promettons de revenir en septembre, à notre retour d'Arménie. En attendant, nous passons des moments très agréables attablés au café attenant, le "Sans souci", à surfer sur le wifi, en levant la tête, toutes les heures, vers le carillon animé. Il y a au moins une marionnette qui n'est pas partie en vacances.

Deux ou trois choses sur Tbilisi :

1. Roustaveli

L'avenue Roustaveli, que les Tbilisiens aiment à présenter comme les "champs Élysées de Géorgie" va de la place de la Révolution des Roses (ex place de la République) à la place de la Liberté (ex place Erivan, puis place Lénine après 1921). Celle-ci marque l'entrée de la vieille ville, à laquelle on accède par la rue Kote Apkazi, ancienne rue Lesselidze. Ces changements de noms en disent long sur les bouleversements politiques dans la Géorgie du XXème siècle et sur sa volonté, au XXIème, de s'émanciper de son passé "russe", ou "soviétique". Les habitants se soucient d'ailleurs comme d'une guigne de cette valse onomastique et continuent à utiliser les anciennes appellations, ce qui ne facilite pas la tâche du visiteur quand il demande son chemin en exhibant son plan, mais témoigne d'un bon sens populaire plutôt rassurant. Rien ne dit en effet, que ces plaques récentes ne seront pas remplacées par d'autres dans quelques années ou quelques mois. Après tout, pendant notre court séjour, le leader de la révolution des Roses, aujourd'hui déchu et "en voyage" aux États-Unis, a été condamné par contumace...
Comme sur les Champs, donc, on monte et on descend Roustaveli, mais il faut bien dire que la comparaison s'arrête là. Beaucoup de bâtiments sont en rénovation, d'autres, démolis, seront entièrement reconstruits. Il faudra revenir voir le résultat dans quelques années.
C'est ici que l'on trouve tout ce qu'il y a de moderne ou d'occidental, du MacDo, lové tel un Bernard l'Hermite dans les étages d'une étroite coquille du XIXème, aux grands hôtels, librairies, supermarchés et boutiques de téléphonie. C'est aussi dans ou aux abords de cette avenue que se situent la plupart des musées.
Tout ceci conjugué fait que nous y avons passé du temps...

2. Les musées que nous avons aimés..

A la Galerie Nationale, nous avons découvert trois artistes importants :
Le peintre Niko Pirosmani, dont les œuvres évoquent un peu celles du Douanier Rousseau, est LE peintre national géorgien. Ses toiles sont, pour la plupart consacrées à des scènes de la vie quotidienne. Quant aux représentations animales (lion, cerf, biche, sanglier) elles laissent deviner un arrière plan symbolique ou mythologique que le non Géorgien ne parvient pas toujours à identifier.
Pour ma part, j'ai préféré les tableaux de Lado Goudiachvili. Son œuvre, de facture plutôt expressionniste dans sa première période (années 20 et 30), nous plonge dans un univers proche du fantastique, et ses portraits (d'hommes, de femmes, de trios, dont on ne sait trop s'ils sont des héros d'épopée ou de louches voyous de quartier) sont aussi inquiétants que fascinants.
Le musée présente aussi une exposition consacrée au sculpteur Iacob Nicoladze, dont on peut voir par ailleurs de nombreuses réalisations dans les rues de Tbilisi.

Le musée des Beaux Arts est à visiter pour ses salles du "trésor", dans lesquelles on doit être obligatoirement guidé. On voit là une magnifique collection d'art géorgien d'époque chrétienne, du VIème au XVIIIème. Les icônes, iconostases, bijoux et objets religieux les plus remarquables, en provenance de toutes les églises du pays, ont été rassemblés ici. On en ressort émerveillé.

Au musée Simon Djanachia, la partie la plus intéressante est celle qui est dédiée aux découvertes archéologiques. Les vitrines regorgent de pièces d’orfèvrerie, du VIème millénaire à l'époque romaine. On s'attarde surtout sur les chefs d’œuvres du trésor de Colchide, en rêvant à l'expédition des Argonautes et aux amours de Jason et Médée.
A la vue de toutes ces merveilles, on comprend mieux l'avidité des héros grecs qui se sont aventurés sur ces terres lointaines. Si les bijoux d'or sont si nombreux, c'est que les rivières de Géorgie sont connues, depuis l'antiquité, pour leur potentiel aurifère. On dit même que, pour capturer la fine poussière d'or, trop fine pour rester au fond des tamis, les orpailleurs locaux utilisaient, il ya peu encore, une méthode très archaïque mais efficace. En faisant tremper dans l'eau des peaux de mouton, puis en les faisant sécher et en les brossant, ils obtenaient quelques grammes du précieux métal.
Le mythe de la Toison d'Or aurait donc un fond de vérité.

... et le musée que nous n'avons pas aimé.

Dans le bâtiment du musée national Simon Djanachia, un étage est intitulé "Musée de l'occupation soviétique". Je n'ai pas aimé ce musée pour plusieurs raisons.
D'abord, parce que c'est l'exemple même du musée de type idéologique, dans lequel tout est orienté de manière à formater une opinion et non à former le jugement, quitte à grossir ici certains traits, ou à passer là sous silence ce qui ne cadre pas avec la ligne à suivre. Bref, en reproduisant les méthodes de ceux dont on prétend s'être libéré, on montre qu'on ne s'est pas encore émancipé.
Ensuite, la confusion permanente entre les termes "russe", "bolchevik" et "soviétique" est gênante. Que la Géorgie ait été colonisée par les Russes depuis le XIXème siècle, c'est un fait, même si de petits esprits rappellent quelquefois, qu'à tout prendre, ce nouveau protectorat lui a permis d'échapper aux tutelles turque et persane sous lesquelles elle vivait depuis des siècles. Mais ramener les événements de 1921 à une simple manifestation de l'impérialisme russe n'est-il pas abusif ? En Géorgie comme en Russie, l'enthousiasme révolutionnaire était très fort dans ces années-là, et nul doute que la plupart des intellectuels et une bonne partie du prolétariat étaient marxistes, voire léninistes. Personne n'aurait donc adhéré, à cette époque au moins, aux idéaux soviétiques en cours ?
Le malaise se fit plus profond encore quand on réalise, au fil des présentations, que la collection assimile, petit à petit, les termes "russe" et "soviétique". On en oublierait presque que, jusqu'en 1953, le Kremlin était aux mains de Staline (Djougachvili) et la police aux ordres de Beria (Pavles Dze Beria), tous deux Géorgiens.
Pourquoi ne pas le dire ? De Staline, on ne voit qu'un portrait anodin, et de Beria il n'est jamais question, alors que c'est lui qui a détruit la moitié de Tbilisi et coupé ou déporté toutes les têtes géorgiennes mal pensantes qui dépassaient.
Là, on ne joue plus seulement sur l’ambiguïté ; on recourt à la méthode bien connue du mensonge par omission.

3. La vieille ville

La vieille ville de Tbilisi se compose de plusieurs quartiers qui se succèdent et se superposent entre la Koura et la colline de Sololaki, dominée par une forteresse, impressionnante mais largement reconstruite, comme on peut s'en apercevoir en regardant des photos anciennes.
Depuis la place de la Liberté, on descend la rue Lesselidze, pour parvenir à la place Meïdan (la place "Place") et aux bains d'Abanotoubani (les bains "Bains"), près de la rivière et des sources d'eau chaude qui ont fait la réputation du lieu.
C'est la "Tiflis" des albums photos, encore un peu orientale, avec ses caravansérails désaffectés, ses thermes turcs et persans, toujours en activité et aux façades très (trop) ravalées, ses maisons ottomanes ; mais c'est aussi la Tbilisi très chrétienne, géorgienne ou russe. Que de belles églises ! Plan basilical ou en croix, mais toujours avec coupole, avec ou sans fresques préservées, leur architecture est toujours d'une grande sobriété et donne une impression d'unité, bien qu'elles aient été souvent détruites et reconstruites au cours des siècles. Comme les églises grecques, elles sont entourées d'un petit jardin, avec parfois une treille et une tonnelle.
Notre préférée est Antchiskhati, tout près du théâtre Gabriadze... et de Tiresias.
La cathédrale arménienne Norachen est en cours de restauration et on ne peut y pénétrer. C'est la seule église qui reste aux Arméniens de Tbilissi et elle fait l'objet d'un contentieux avec l'état géorgien qui n'entend pas la leur rendre. Les travaux en cours en août 2014 sont-ils le signe d'un progrès dans les négociations ?
Il reste aussi dans la vieille ville une mosquée d'origine persane (la seule que Beria ait laissée debout), fréquentée par les Azéris, et une grande synagogue, toujours ouverte bien qu'il n'y ait presque plus de juifs en Géorgie. Les deux édifices peuvent se visiter.
On peut donc passer des heures à courir d'église en caravansérail, le nez sur son plan ou dans son guide, mais c'est aussi en flânant au hasard dans les ruelles de Zemo ou Kvemo Kala qu'on trouve de belles surprises. Beaucoup de maisons sont bien délabrées mais on ne se lasse pas d'admirer leurs façades, les escaliers extérieurs et surtout leurs superbes balcons, aux dimensions étonnantes. Elles me rappellent, en plus imposant, les maisons du bas de Sultanahmet à Istanbul.
La restructuration de la vieille ville va bon train. Plutôt que de restaurer ces vieilles habitations, il semble qu'on ait fait le choix de raser et de reconstruire dans un style proche de l'identique. On trouve donc des pâtés de maisons tout neufs qui font ancien, à côté de bicoques menaçant ruine, de terrains vagues et de carcasses en cours de démolition. Beaucoup de ces logements ne sont pas encore vraiment occupés.
Entre la cathédrale Sioni et les bains, se trouvent les rues à la mode Bambis Rigui, Chardin et Erakli II. Les deux premières ont été refaites dans le style "Art nouveau" sur la base d'anciens caravansérails et ont un certain caractère. Mais, pour le cadre et l'ambiance, ce ne sont que boutiques branchées, cafés et restos en terrasse, galeries d'art etc., comme toujours dans ce genre d'endroit.
Passons donc notre chemin. Ah ! mais non ! Tiens ! Qui est ce barbu bondissant qui semble jaillir du mur tel un satyre sautant sur sa proie ? C'est le cinéaste Sergei Paradjanov, dont le sculpteur Azha Mikaberidze a réalisé la statue. A voir...
Et cette curieuse passerelle pour piétons qui mène à la rive gauche ? Voulue par l'ancien président Saakachvili, les Tbilissiens, malicieux et plus terre-à-terre que leur leader féru d'art moderne, l'ont surnommée "Always Ultra".
Avouons que...